Le Journal de Quebec - Weekend

TRAJET VERS L’AUTRE MONDE

Faire face à sa propre mort est tout un choc quand on a 29 ans. Ça s’appréhende pas à pas, peur, colère et humour emmêlés.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Charlie, la jeune narratrice de J’irai déterrer mon père, a le cancer et il est trop grave pour espérer y survivre. Cela ravive le souvenir de son père qui avait mis fin à ses jours.

En plus, il a été enterré alors qu’il souhaitait que ses cendres soient dispersées. Charlie n’avait pas eu un mot à dire à l’époque : elle n’avait que 15 ans, était tenue à l’écart des discussion­s et, tensions familiales obligent, n’avait même pas été invitée à l’enterremen­t.

Sa propre situation lui donne soudain très envie de corriger l’erreur d’autrefois : il y a des cendres, voire un père à retrouver.

On croirait une histoire sombre, or elle ne l’est pas. Catherine Larochelle, comédienne qui signe ici son premier roman, pimente le récit de scènes si drôles, si crues, si sensuelles, si ironiques que la vie va dominer.

UN ÊTRE FAMILIER

Elle a aussi eu la belle idée de faire suivre chaque chapitre de vignettes qui, en un court paragraphe, décrivent une photo de Charlie.

On va ainsi la suivre de l’âge d’un an à ses 30 ans. Une photo par année, une photo à la fois : Charlie avec son père, avec son insupporta­ble frère ou sa fringante meilleure amie.

Charlie au camp de vacances, à Noël, en voyage…

Ce procédé, tout simple, remet à sa juste place le cancer de la jeune femme et les tourments qu’il suscite. Charlie n’est pas qu’une malade, elle porte aussi un passé et un entourage qui lui donnent de la consistanc­e. Elle glisse ainsi de personnage de roman à un être qui nous est familier : on la connaît depuis si longtemps !

On suit donc avec empathie cette Charlie qui cherche à poursuivre sa vie de jeune femme alors que c’est sa disparitio­n qui rôde. Elle s’inquiète de la fidélité de son amoureux ; elle déconne avec sa grande amie ; elle ménage sa trop intense mère ; et son frère l’énerve comme on aime se détester au sein des fratries.

BEAUTÉ ET TRISTESSE

Mais elle est aussi extrêmemen­t lucide sur ce que l’on perd quand il n’y a plus de vie. Les énumératio­ns qui en découlent nous happent tant ce regard sur les détails du quotidien leur rend de la noblesse.

« Hier encore, je montais les escaliers à quatre pattes, j’empilais des cubes, […] je croyais à la fée des dents, […] je refusais de mettre une tuque, je fuyais les becs de ma mère […], je dévalais les marches de l’université […]. »

C’est le pendant par les mots de l’instantané des photos. Et c’est extrêmemen­t efficace pour suivre le cheminemen­t de Charlie et y puiser des repères qui nous rejoignent.

La fin sera belle car des réconcilia­tions auront lieu, triste parce qu’ainsi va la mort, et réconforta­nte parce que les larmes sont aussi une marque du vivant.

 ?? ?? J’IRAI DÉTERRER MON PÈRE Catherine Larochelle Québec Amérique 232 pages 2022
J’IRAI DÉTERRER MON PÈRE Catherine Larochelle Québec Amérique 232 pages 2022
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada