Le Journal de Quebec - Weekend
UNE TÉLÉ MOINS CONFORMISTE
Elle est loin, l’époque où deux hommes se tenant par la main forçaient l’annulation du téléroman Paradis terrestre (dans les années 1970), où un bout de sein faisait scandale dans Les dames de coeur (fin des années 1980).
Avec des séries comme
Sans rendez-vous, Les mecs ou Fugueuse, la télévision généraliste québécoise se fait plus audacieuse qu’il y a quelques décennies en matière de représentation de scènes « osées », croit Pierre Barrette, professeur et directeur de l’École des médias de l’UQAM, témoin de la transformation de la télévision québécoise, notamment en matière de représentations sexuelles.
« La télévision est à l’écoute des transformations sociales et de l’évolution des moeurs », croit la professeure Stéfany Boisvert aussi liée à l’École des médias.
« Si la télévision devient plus explicite dans sa représentation de la sexualité, c’est parce que, pour une bonne partie de la population, ces représentations sont maintenant jugées plus “acceptables”. »
Aux gens qui pourraient voir comme un signe de sensationnalisme la multiplication de telles scènes dans notre télévision, la professeure trouve important de présenter l’envers de la médaille.
« Cela peut aussi être en réponse à une télé qui, pendant longtemps, a été extrêmement restrictive et moralisatrice, explique-t-elle. La sexualité, ce n’est pas juste racoleur, il y a aussi une revendication d’avoir une liberté créative et d’expression sur ce sujet. »
Les séries qui abordent directement la sexualité sont aussi un signe des temps.
L’industrie télévisuelle a complètement changé au cours des quinze dernières années et l’année 2022 marque un tournant.
Pour la première fois au Québec, il y a plus de gens abonnés à des plateformes qu’au câble.
Cela fait en sorte que les chaînes généralistes – qui se retrouvent en concurrence directe avec ces plateformes et les chaînes américaines comme HBO et Netflix – doivent adapter leur offre en matière de contenu et de représentation de la sexualité.
« Il existe un lien entre HBO et les séries de Radio-Canada, ajoute Stéfany Boisvert. Des créateurs de séries québécoises – comme Podz – ont mentionné à plusieurs reprises que leurs principales influences sont des séries de HBO. HBO a surtout été reconnu comme une chaîne qui a innové du point de vue de la représentation de la sexualité.»
Contrairement aux grands réseaux américains soumis à des régles strictes, HBO pouvait se permettre d’explorer de nouvelles avenues. «C’est une chaîne câblée sans publicité non réglementée, elle est donc allée beaucoup plus loin en termes de représentation de la sexualité explicite et de l’utilisation d’un langage vulgaire. »
Il n’y a jamais eu autant de séries télé produites annuellement, ce qui rend de plus en plus difficile pour les diffuseurs de capter l’attention du public.
« Les télédiffuseurs vont adopter de nouvelles stratégies et celle de proposer un contenu poussant plus loin les représentations de la sexualité peut en être une », poursuit la professeure en faisant référence à une émission comme Sans rendez-vous présentée sur ICI TELE.
CONFORMISME PROVISOIRE
Les deux spécialistes sont d’accord : la télévision a tout intérêt à ne pas rester trop conservatrice et à essayer de modifier ses représentations en fonction de l’évolution des mentalités.
« On est dans une forme de conformisme (on ne peut pas aller trop loin, ni trop en montrer, ni trop en faire), mais ça évolue, ça change, ça se transforme, affirme le professeur Pierre Barrette. La sexualité – comme la violence – peut être confrontante, car on n’a pas tous les mêmes barèmes. »
Selon lui, c’est en mettant de côté les stéréotypes, les clichés et les excès racoleurs et en privilégiant la qualité et la bienveillance dans les représentations qu’on ira chercher l’acceptation du public.