Le Journal de Quebec - Weekend

LA TÉLÉVISION NOUS A BEAUCOUP CHANGÉS

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Les auteurs affirment dans notre cahier d’aujourd’hui que la télévision a beaucoup changé. Je crois plutôt qu’elle nous a beaucoup changés.

La télévision nous a changés au point où nous acceptons des scènes et un langage qui nous auraient fait bondir il n’y a pas si longtemps. Les téléspecta­teurs de 50 ans et plus ont d’ailleurs beaucoup de mal à s’adapter aux scènes scabreuses de Sans

rendez-vous ou au langage grossier des Mecs. Jamais Vincent Gabriele, directeur des programmes de Télé-Métropole quand j’écrivais Peau de banane, n’aurait donné son accord à la série Fugueuse ,mêmesielle­a ouvert les yeux de nombreux parents et éducateurs sur la dérive possible d’adolescent­es « de bonne famille ».

En 1986, au moment de lancer Télévision Quatre-Saisons (TQS), j’avais déclaré dans une conférence au Publicité Club de Montréal que je trouvais la sexualité explicite plus acceptable à la télévision que la violence des séries américaine­s. Passant de la parole aux actes, je mis à l’horaire de TQS, tard le samedi soir, des films coquins sous le titre Bleu

nuit. Aucun de ces films ne comportait de scènes aussi pimentées que celles aperçues dans ChevalSerp­ent ou dans C’est comme ça que je t’aime.

UNE SÉRIE EXTRÊME

L’arrivée des plateforme­s numériques comme Netflix, HBO et compagnie a sonné le glas de Bleu

nuit. Elle a surtout mis un terme à la réserve qu’avait gardée jusque là Radio-Canada à l’égard des scènes de sexualité et de violence. Dans la foulée, TVA et TQS (devenue « V », puis Noovo) ont aussi abandonné graduellem­ent leurs réticences devant ce type d’émissions. À pas plus mesurés, toutefois. Radio-Canada poursuit son escalade (ou sa dégringola­de selon les points de vue !) allant jusqu’à donner son aval à une série adaptée à partir de quelques brèves capsules australien­nes, intitulées Sexy Herpes. Créées pour internet, ces capsules furent d’abord diffusées sur YouTube en 2017 avant de l’être sur une chaîne spécialisé­e.

Si les sketches Sexy Herpes sont assez amusants, teintés qu’ils sont de l’humour australien si particulie­r, les émissions que présente Radio-Canada sont scénarisée­s de façon maladroite et le peu d’humour qu’elles comportent tombe souvent à plat. Avec Sans

rendez-vous, dont on cherche en vain la pertinence, le diffuseur public me paraît avoir atteint l’extrême limite que ne peut dépasser une télévision généralist­e sans tomber carrément dans la pornograph­ie. Mais sait-on jamais ?

LA QUÊTE DE COTES D’ÉCOUTE

La recherche effrénée d’auditoire, car c’est bien de cela qu’il s’agit, semble justifier toutes les audaces. Les diffuseurs, Radio-Canada plus que tous les autres, croient se racheter en multiplian­t les notices sur la violence, la nudité ou le langage des émissions qu’ils savent heurter des milliers de téléspecta­teurs. L’éthique ainsi que le sens social et de responsabi­lité ne pèsent pas lourd lorsqu’il s’agit d’empêcher les géants comme Netflix de gruger des cotes d’écoute gagnées de haute lutte avec des moyens limités.

La télévision, quel que soit son moyen de diffusion, est de loin l’un des plus importants vecteurs d’évolution d’une société. Les gouverneme­nts des pays totalitair­es le savent bien, eux qui la censurent ou se réservent le droit d’en nommer les responsabl­es. Lors de sa première décennie d’existence, le réseau français de Radio-Canada fut par ses émissions d’affaires publiques et même ses téléromans le moteur de la Révolution tranquille. Par ses séries de fiction, notre télévision, qu’elle soit publique ou privée, a fracassé bien des tabous et changé durablemen­t la société québécoise. Il appartient à ceux qui la font, diffuseurs comme producteur­s et créateurs, de veiller à ce qu’on n’y banalise pas la violence et la sexualité.

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