Le Journal de Quebec - Weekend
Normaliser et embrasser LA DIVERSITÉ
La diversité prend toutes sortes de formes incluant celles de l’orientation et de l’identité sexuelle. Tous s’entendent pour dire que pour une société aussi ouverte que la nôtre, nous étions télévisuellement franchement en retard. Mais on s’ajuste. Peut-être pas toujours aussi vite que la société qui s’émancipe depuis quelques années. Cependant, chaque pas compte pour que chacun s’y retrouve et embrasse cette diversité. Alors que débutent les festivités de Fierté Montréal, l’occasion était belle pour jeter un oeil sur l’évolution de la communauté LGBTQ+ sur nos ondes.
« Les chaînes spécialisées américaines, comme HBO, Showtime ou Netflix, ont eu de l’influence, observe Tara Chanady, chercheure sur les enjeux LGBTQ à l’Université de Montréal. Toutefois, les chaînes publiques sont moins progressistes. »
Une situation motivée par des questions économiques, par un contexte urbain, des enjeux générationnels. Elle remarque toutefois que la représentation lesbienne a mis plus de temps à installer au petit écran. Aux États-Unis la série The L Word a été précurseure.
« On parle d’une invisibilité des femmes. Comme il y a toujours une invisibilité des trans et des non-binaires. » Elle note que la série Sans rendez-vous, qui se déroule dans une clinique de santé sexuelle, fait figure d’exception avec Lou, un personnage non binaire.
La diversité est au coeur de toutes les oeuvres de Simon Boulerice. L’auteur, chroniqueur et acteur s’illustre depuis quelques semaines dans Géolocaliser l’amour, adaptation très réussie de son roman sur l’Extra de Tou.tv (et gratuitement, pour tous, dès le 3 août).
On y suit Simon (son personnage), dans sa quête amoureuse alors qu’il succombe aux amants potentiels d’une application.
« J’ai la conviction que la série n’aurait pas été possible lorsque le livre est sorti en 2016. On n’était pas prêt à voir ce côté buffet à volonté à la fois cru et sensible même si les applications existaient. Le web permet aussi une plus grande liberté. »
Si la télé conventionnelle carbure aux visages connus, le web permet d’oser, d’amplifier aussi une certaine authenticité. Comme se le permettent les chaînes spécialisées américaines dont les distributions regorgent de nouvelles personnalités. Dans Géolocaliser l’amour, la question de la non-binarité est amenée par Camille qu’incarne Alex Miron, artiste non binaire. Et rappelons que c’est sur le web qu’est née la série de Chloé Robichaud Féminin/Féminin.
DANS LA BONNE DIRECTION
Les années 1970 ont vu débarquer Christian Lalancette dans Chez Denise, bien que considéré aujourd’hui comme caricatural, et Bernie Lacasse, homme de ménage chez les Duval dans Jamais deux sans toi, dont le conjoint était policier, une normalisation encore marginale à l’époque. En 2000, la série Queer as Folk s’avère marquante pour la communauté gaie. Encore fallait-il comprendre l’anglais.
« Il y a eu une succession de petits pas, se souvient Simon Boulerice. La vie, la vie a été un jalon important pour moi. C’était la première fois que je voyais un couple gai à la télé québécoise. C’était fait avec simplicité et beaucoup d’humanité. On était loin de la caricature. »
Trop souvent les personnages homosexuels ont joué les seconds violons. Souvent, l’intrigue misait sur leur coming out, comme s’il était nécessaire pour s’y attacher ou les comprendre, les justifier.
« L’homosexualité est maintenant pleinement intégrée, mais sans voir les communautés, note toutefois Tara Chanady. En ce moment ça reste dosé, balisé. On ne représente pas par exemple les lesbiennes plus masculines. On ne parle pas des enjeux queers. On reste dans les beaux couples monogames. »
LES JEUNES ET LA NORMALITÉ
La normalisation de l’orientation et de l’identité sexuelle, les jeunes y sont exposés.
« Des séries comme Euphoria, d’une manière plus “trash”, et Heartstopper, avec plus de tendresse, ont montré des personnes trans de façon très organique », explique Simon.
Chez nous, Gabrielle Boulianne-Trem
blay (Une autre histoire) et Pascale Drevillon (Fugueuse 2) mériteraient des rôles étoffés surpassant la question trans. Et saluons la partition complexe offerte à Lé Aubin, acteur trans, dans
Toute la vie. Et chapeau à la belle joute qu’a jouée l’humoriste Tranna Wintour dans Big Brother
Célébrité.
Tara Chanady appelle toutefois à la prudence relatant l’intrigue autour du personnage d’infirmière dans Unité 9 dont l’identité trans était associée à une déviance non fondée qui avait mené à son congédiement. Si elle conçoit que la série a mis de l’avant l’homosexualité au féminin à travers une diversité de personnages, cet épisode était une maladresse.
« C’est la responsabilité des artisans d’une oeuvre de s’informer et d’impliquer des gens des communautés concernées dans la production. Il y a un devoir d’éducation constant pour représenter les nouveaux codes. La télévision participe à recréer des normes, des enjeux de pouvoir, affirme-t-elle. »
« La série jeunesse est un bel écrin, avance Simon Boulerice. Dans ma série
Six degrés, Humberto se questionne sur son identité. Son père le trouve un peu jeune alors que Léon lui fait remarquer qu’à 12 ans, il savait déjà où allait son désir. Sans en faire un plat. »
Cette normalisation est bien présente dans les séries L’académie, Le
chalet, Jérémie ou Les petits rois destinées à un public ado. Tara Chanady note aussi que Madame Coucou dans la nouvelle mouture de Passe-Partout n’a pas eu à faire de coming out intégrant tout simplement le fait qu’elle a une amoureuse.
« On se définit plus qu’à mon époque, observe Simon Boulerice. On veut être entendu. On connaît de plus en plus le vocabulaire. Certains n’ont pas tous les outils, ça peut être déstabilisant, mais il suffit d’être vigilant, bienveillant et délicat. C’est à chacun d’être de son époque et de faire un effort. »
Et que répondre aux auteurs qui disent écrire davantage sur ce qu’ils connaissent ?
« Je n’ai jamais fait autant de recherche que depuis que j’écris pour la télé. Les personnages doivent être incarnés. [... Pour ça, un auteur doit prendre
LA DRAG
ses précautions, doit aller valider des choses. Pour rendre crédible un personnage de mécanicien, j’ai posé des questions à un mécaniLa cien. télévision très regardée permet de démystifier. Même dans le divertissement elle peut être éducative. »
Récemment, la drag a aussi fait son apparition sur nos écrans. RuPaul est un des grands artisans de cette petite révolution grâce à la franchise Drag
Race qui a conquis le monde.
« Au Québec, Mado [Lamothe] a starté la machine puis Rita [Baga] a déblayé le chemin avec une méga pelle, confirme la colorée humoriste Mona de Grenoble. On ouvre les portes du cabaret ! C’est en étant sur des émissions qu’on rejoint le grand public. Cette représentation est tellement importante. »
On peut dire que la drag sur nos ondes est arrivée à point alors qu’une certaine morosité pandémique régnait.
« C’est un vent de fraîcheur, s’exclame Mona. Tant pis si tu n’aimes pas les paillettes ! Ils nous ont dit pendant la pandémie de nous réinventer. Les bars étaient fermés, on est sorti du night life.
Ce qui est l’fun c’est que la drag englobe toutes les formes d’art : danse, chant, animation, humour. C’est une force et plein de potentiel à exploiter. »
Mona de Grenoble est l’alter ego d’Alexandre Aussant, une personnalité qui gagne à être connue. Qui nous déride. « C’est la matante de party qui rote sa crème de menthe sans créer de malaise. »
Alexandre se réjouit de la popularité grandissante de sa Mona. Après des passages remarqués à Roast Battle et au Prochain standup, elle est devenue chroniqueuse aux Fabuleux printemps de Marie-Lyne.
« Mona sait s’adapter selon si elle fait de la scène, de la radio, de la télé. Faire de la chronique m’a permis de montrer qu’il n’y avait pas que la Mona de scène plus crunchy, plus salée. Mona c’est aussi Alexandre qui a des opinions, des valeurs. » Mona de Grenoble continuera à nous dégourdir sur nos ondes où elle a acquis rapidement sa place grâce à son franc-parler.
« Je vois que les mentalités changent, conclut Simon Boulerice. Ça fait cinq ans que je suis à la télé sur une base régulière et je sens que l’homophobie s’essouffle. C’est certain qu’on me connaît mieux donc qu’on s’attache peut-être à moi, mais je pense aussi que l’époque se bonifie. Et c’est beaucoup grâce aux jeunes. Alors qu’avant on pointait du doigt l’homosexuel, maintenant on pointe l’homophobe. »