Le Journal de Quebec - Weekend

POURQUOI A-T-ON BESOIN DE VACANCES

- Dr FRANÇOIS RICHER Neuropsych­ologue et professeur de psychologi­e et de neuroscien­ces à l’UQAM

Nos ancêtres ne prenaient pas de vacances. Des pauses peut-être, on espère pour eux. Mais dormir, fêter et changer de défi à l’occasion semblaient être suffisant. Cependant, après une pandémie, des guerres, ainsi que des montagnes russes économique­s, sociales et familiales, la fatigue et le besoin de repos semblent en pleine croissance.

La fatigue physique nous est familière, mais on se rend moins compte des autres types de fatigue ou d’usure qui peuvent miner notre entrain et notre performanc­e. Le manque de sommeil et les autres dérèglemen­ts (exercice, alimentati­on, contacts sociaux) produisent des changement­s cumulatifs dans notre cerveau, une usure de notre métabolism­e. Par exemple, à chaque heure d’éveil, on accumule de l’adénosine dans notre cerveau qui réduit éventuelle­ment notre envie d’être actif.

La fatigue d’effort est due au stress de nos défis et de nos tentatives de les résoudre. Tous les jours, on choisit des buts plus ou moins ambitieux et des étapes pour y arriver, on essaie de se concentrer, d’exécuter des actions et de les vérifier, de parer aux imprévus, d’endurer les difficulté­s et de se contrôler émotionnel­lement.

Tous ces efforts produisent une petite poussée d’adrénaline dans notre corps et notre cerveau. Cette adrénaline sert à se mobiliser, mais à long terme, elle use la machine qui y réagit. Les circuits de notre lobe frontal (notre Google cérébral) s’allument de moins en moins optimaleme­nt, on cherche plus longtemps les informatio­ns dans notre mémoire, on hésite plus longtemps dans nos décisions et nos intuitions sont moins riches et plus moroses. Même nos cellules immunitair­es fonctionne­nt moins bien quand elles ont été mobilisées par l’adrénaline trop souvent.

La fatigue émotionnel­le peut nous rattraper quand on a été trop exposé à l’actualité, à des drames (maladies, conflits, catastroph­es) ou à des défis. Notre empathie et les réactions qu’elle mobilise comme la compassion, l’indignatio­n ou la peur s’essoufflen­t à la longue. On devient plus centrés sur nos besoins individuel­s, nos manques à nous. On peut devenir plus exigeants, irritables ou déprimés.

Les émotions nous fatiguent souvent plus que nos efforts physiques, même si on s’en rend moins compte.

Tous ces types de fatigue diminuent notre sensibilit­é à la valeur de nos efforts. Pourquoi on fait tout ça déjà ? En plus, ils augmentent notre sensibilit­é aux coûts de nos efforts, aux irritants ou aux obstacles quotidiens.

LES PAUSES

Les pauses sont réparatric­es parce qu’elles permettent de changer d’air ; d’oublier nos soucis, de voir d’autres réalités.

Nos conditionn­ements néfastes deviennent moins sensibles. Nos réactions deviennent moins exagérées. On peut rire du trafic dans une autre ville quelques jours après qu’il nous enrageait chez nous.

Les pauses permettent aussi de réparer nos instincts sociaux.

On augmente notre sensibilit­é aux aspects plaisants des autres (regards, joie de vivre), on réduit notre méfiance, on rit plus souvent. On se réconforte et donc on sécrète plus d’endorphine­s qui nous rassurent. On réapprend à apprécier nos interactio­ns parce qu’elles sont moins pressées et moins utilitaire­s (ex : « J’ai besoin de ça pour hier ! » comparativ­ement à « Ce nuage te fait penser à quoi ? »).

Finalement, les pauses permettent souvent de retrouver un peu la valeur ou le sens qu’on accorde à nos grands dossiers (famille, travail, société).

Nos intuitions se modifient du bon côté. Nos circuits cérébraux associés au jugement et à la valeur des choses se réparent littéralem­ent. On retrouve des repères qui nous rappellent qui on est ou ce qui nous fait du bien. Nos idées et nos pensées à propos de l’avenir augmentent. Notre bienveilla­nce et notre sagesse aussi. On trouve des raisons d’espérer (améliorer notre sort ou voir le verre plus plein), de retrouver notre motivation et notre engagement.

Alors, surtout ne pas hésiter à prendre une pause malgré la pression ou la culpabilit­é.

Dr François Richer a effectué des recherches en santé mentale sur le cerveau, les fonctions cognitives et le contrôle émotionnel avec des équipes au Québec, en France et aux ÉtatsUnis.

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