Le Journal de Quebec - Weekend
LES OUBLIÉS DE LA PREMIÈRE GUERRE
Dans son nouveau roman, Le soldat Ulysse, l’écrivain français Antoine Billot raconte l’histoire d’un poilu qui a laissé le meilleur de lui-même sur les champs de bataille : sa mémoire et son identité.
Antoine Billot partage son existence en deux. Le jour, il enseigne à l’université et dirige un laboratoire d’économie mathématique. Puis, quand vient le soir, il laisse complètement tomber les chiffres pour se consacrer aux lettres, et ce, jusqu’au petit matin. Une méthode de travail qui semble lui réussir puisqu’avec le temps, Antoine Billot a ainsi écrit plus d’une dizaine de livres. Dont Le soldat Ulysse, qui s’inspire de faits réels aussi tristes qu’incroyables.
« Mes deux grands-pères ont fait la guerre de 14-18 et quand j’étais enfant, ils m’ont raconté beaucoup de choses à ce sujet, explique l’écrivain qu’on a pu joindre chez lui, à Paris. J’avais envie de parler de cet univers-là et en me documentant sur la Première Guerre, j’ai découvert que six soldats français avaient été retrouvés dans un état d’amnésie que je pourrais qualifier de totale : eux ne se souvenaient de rien, et dans la société, personne ne les reconnaissait. L’État les a donc pris en charge, mais au bout d’un moment, pour des raisons administratives, il a souhaité y mettre un terme. Le ministère des Anciens Combattants a alors fait une campagne de presse avec des affiches dans l’espoir de les identifier. Presque 1 000 familles se sont manifestées auprès des autorités et pour quatre de ces soldats, ça s’est bien terminé. Mais pour les deux autres, surtout pour le malheureux Anthelme Mangin, ça a été plus compliqué... »
Se basant de loin sur l’histoire tragique de ce pauvre bougre, Antoine Billot nous entraîne dans le temps jusqu’en 1919.
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En janvier de cette année-là, soit quelques semaines après l’armistice, un soldat complètement hagard d’environ 25 ans est découvert à la gare de l’Est, à Paris. Il n’a sur lui ni papiers militaires, ni plaque, ni bracelet d’identité, ni écusson. Ce qui est fort dommage, vu que l’homme ne semble plus du tout savoir qui il est. De fait, une fois interné à l’hôpital de Bicêtre, on ne tardera pas à lui diagnostiquer une sévère amnésie d’identité. Et avec ce genre de maladie, impossible de dire à quel moment la mémoire peut revenir… si elle revient un jour.
Un an plus tard, la situation n’a pratiquement pas évolué. L’homme ne se souvient toujours de rien, et hélas, personne n’est venu le réclamer. Il a donc fallu lui donner un surnom et désormais, il est le soldat Ulysse. Mais l’État ne pouvant pas éternellement subvenir à ses besoins, on décidera de placarder son portrait et son signalement partout à travers la France. Et là, surprise. Plus de 300 familles affirmeront haut et fort qu’Ulysse est l’un des leurs, que ce soit à titre de fils, de mari ou de frère. Pour ne pas avoir à admettre qu’ils ont définitivement perdu un être cher à la guerre, ces gens sont prêts à tout. Même à accueillir chez eux un parfait étranger.
« Dans un premier temps, je voulais que le texte soit aussi chaotique que la mémoire de ce soldat, qu’il soit le reflet de ce qui se passait dans sa tête, précise Antoine Billot. Mais pour ne pas trop nuire à la lecture, j’ai dû revenir dans une espèce de linéarité. »
TROUVER LA BONNE FAMILLE
Comment désigner avec certitude la vraie famille du soldat Ulysse ? C’est ce que le médecin-colonel Oscar Milosz va très sérieusement se demander. Car évidemment, il ne pourra pas compter sur l’aide de son patient, qui est toujours incapable de lui fournir le moindre indice sur son passé.
Ce qui nous ramène à la question au coeur de ce livre : quelle peut bien être l’identité d’un homme qui ne connaît plus son nom et qui ne sait absolument plus rien de son passé ? « La psychiatrie militaire a beaucoup été confrontée à l’amnésie et grâce à la guerre de 14-18, elle va commencer à regarder du côté de Vienne et de Freud et s’ouvrir à des méthodes comme la psychanalyse, souligne Antoine Billot. Pour Milosz, le médecin qui suit le soldat Ulysse depuis plusieurs mois, l’important va être de lui donner une identité qui saura lui permettre de sortir de cet enfer. Autrement dit, il va vouloir trouver l’endroit [ou la famille] où Ulysse pourrait se sentir le mieux. »
Une tâche ingrate qui débouchera peut-être sur une suite. « On est souvent empathique avec ses héros et quand le livre se termine, on a de la difficulté à les abandonner, conclut Antoine Billot. Là, ils me donnent l’éventuel appétit pour prolonger. » Ce qu’on espère.