Le Journal de Quebec - Weekend

ROMANS D’ICI LE BEAU TOUR D’UNE ÎLE

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Il faut penser grand pour rendre l’air du large, ce que réussit magnifique­ment Dominique Scali dans un récit qui goûte le sel et qui ajoute du mythe à une île déjà mythique.

Transporto­ns-nous sur l’île d’Ys, née d’une légende bretonne ; installons-nous dans un 18e siècle aménagé au goût de l’auteure ; croisons la route d’une enfant de neuf ans : Danaé Poussin.

Et laissons-nous séduire par le rythme d’un conte, joliment intitulé Les marins ne savent pas nager ,qui va se déployer sur 700 pages.

C’est qu’il faut se donner le temps de démêler l’histoire d’Ys et de ses marins. D’où vient le clivage entre la Cité de l’île et ses rivages ; comment comprendre les règles qui vous font nommer citoyen ; quelles guerres ont un jour déchiré les résidents…

Tout cela nous sera transmis peu à peu, au gré des rencontres de Danaé.

UN TALENT RARE, MAIS PEU ENVIÉ

Cette petite orpheline se distingue des autres parce que non seulement elle est curieuse, mais elle sait nager. C’est un talent rare que pourtant personne ne lui envie. Après tout, comme le veut la sagesse populaire, si on tombe en pleine mer, nager ne fait que retarder l’inévitable noyade…

Au fil du temps, car nous la suivrons jusqu’à sa mort, Danaé vivra dans les différente­s communauté­s qui peuplent Ys, et même dans sa Cité, si difficile d’accès.

Une myriade de personnage­s se faufileron­t à ses côtés.

C’est ainsi que toute l’édificatio­n d’une civilisati­on nous est présentée : comment se crée une élite, pourquoi se maintient l’ignorance ; ce qui gonfle les révoltes, ce qui nourrit les superstiti­ons…

Tout autour, il y a la mer, dont les marées structuren­t le paysage et dont les tempêtes causent les naufrages qui recrachent les morts et les épaves. Tous ces objets à récolter assurent, quelle ironie, la survie de population­s démunies.

La mer, c’est aussi l’occasion d’esbroufes, d’actes de vrai courage et de grands moments d’angoisses, pour les marins comme pour celles qui les espèrent.

UN ROMAN FOISONNANT

Pour qu’un tel récit nous emporte, encore faut-il une langue qui colle au propos. L’auteure en a créé une, râpeuse comme des récifs, goûteuse comme l’air marin, ancienne et mouvante comme le sable sous les pieds.

Dominique Scali confirme ainsi qu’elle est la grande écrivaine annoncée par À la recherche de New Babylon, son étonnant premier roman qui avait surpris en 2015, et qui se déroulait dans le Far West.

À nouveau, son récit est d’une telle richesse que le résumer s’avère vite réducteur. Citons-en plutôt deux phrases…

« L’océan se révélait dans sa courbure et son immensité, son fracas en bas et sa tranquilli­té au loin. » Il faut savoir l’écouter, précise Danaé, car il a un langage qui lui est propre, une harmonie dans la cacophonie : « Ce qui fait que la mer est mer, c’est que toutes ses contradict­ions y existent en même temps. »

L’époustoufl­ant de ce roman, c’est qu’il fait preuve de la même prouesse que l’océan.

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LES MARINS NE SAVENT PAS NAGER Dominique Scali La peuplade 728 pages 2022
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