Le Journal de Quebec - Weekend
DONNER LA PAROLE, COMPRENDRE ET SE SOUVENIR
Cinq questions à Jean-François Poisson, réalisateur et coscénariste de Priez pour nous
Pendant la pandémie, JeanFrançois Poisson et sa complice, Sophie Charest, se sont questionnés sur les projets qu’ils avaient envie de mener. C’est comme ça que sont nés les documentaires L’ordre du temple solaire et MarieSoleil et Jean-Claude : au-delà des étoiles. Des projets percutants qui rappellent des souvenirs.
On leur doit aussi L’escroc : l’affaire Norbourg et Qui a tué Marie-Josée ? Voilà que Priez pour nous débarque dans la foulée des allégations concernant le Cardinal Ouellet que le pape n’a pas jugé bon de considérer. On peut dire que l’idéateur, réalisateur et scénariste a de l’instinct. Et qu’il n’a pas peur des sujets délicats. Il arrive surtout à faire parler les gens, pour les comprendre. Et pour qu’on n’oublie pas leur histoire.
Mesurais-tu l’ampleur du problème quand tu as entrepris le projet ?
Je n’avais pas conscience de l’ampleur de la situation. Il y a eu des milliers de cas d’abus par des membres du clergé au Québec. On en entend régulièrement parler, mais de façon morcelée. Un article. Un deux minutes aux nouvelles. Quand le délai de prescription a été aboli, ça a été le déclic. On voulait aller au fond du problème en allant sur le terrain. Toutes les histoires sont épouvantables. Au Saguenay, un seul prêtre a abusé de 123 femmes ! Mais ce qui m’a frappé, c’est le système qui engendre le silence. Je ne mesurais pas non plus les répercussions de ces abus sur la vie des victimes. Ce mal-être que tu peux traîner, c’est ce qui m’a le plus touché et le plus choqué.
J’imagine que ça prend un certain temps avant de gagner la confiance des gens qui témoignent à la caméra.
Notre recherchiste, Nancy Audet, a commencé des démarches un an et demi avant le tournage. C’est un travail d’équipe. C’était bien important de connaître et de respecter leurs limites. En tournage, c’est à mon tour de les mettre à l’aise. J’ai un grand respect pour leur démarche. Je ne les pousse jamais. Il y a des choses qu’on comprend très bien dans le non-dit. Je ne cherche pas le sensationnalisme. Il arrive que les intervenants oublient la caméra lors des échanges. S’ils regrettent d’avoir dit quelque chose, on le change. Ce lien on le conserve jusqu’à la fin. Ils rouvrent leurs plaies pour nous et je respecte leur volonté en montage comme la prunelle de mes yeux. Ce sont des gens qui ont du courage et qui sont inspirants.
Certains témoins deviennent émotifs devant la caméra. Comment arrives-tu à ne pas te laisser atteindre par ces histoires épouvantables ?
J’ai une bonne psy ! C’est difficile. Quand je m’investis, je le fais intensément. C’est une immersion totale. C’est important d’avoir un pas de recul aussi pour être capable de faire des nuances et que ça n’influence pas le montage. Il faut créer un détachement. Cela étant dit, il y a une différence entre le vivre sur place et revoir les images sur un ordinateur. Mais étant donné la teneur de mes projets, je consulte. C’est important de prendre soin de sa santé mentale pour raconter des histoires.
Nathalie Simard témoigne, même si elle n’a pas été abusée par des religieux. Pourquoi c’était important qu’elle fasse partie de la série ?
Sa dénonciation est le premier me too. Des victimes, il y en a encore, mais plusieurs datent d’il y a longtemps. L’histoire de Nathalie Simard a non seulement inspiré une de nos protagonistes, mais elle permet de remettre les choses en contexte, de montrer à quel point le système n’était pas prêt.
Pensais-tu que ça serait si difficile d’avoir le témoignage de quelqu’un du clergé ?
On voulait amener des nuances dans l’Église. Ce ne sont pas tous des méchants. On y est allé avec des gants blancs afin d’avoir leur version. On nous a refusé trois fois des entrevues, puis débooké à deux jours d’avis. C’est très frustrant de voir à quel point le message est contrôlé. Même l’ombudsman du diocèse de Montréal, qui doit être impartial, a refusé de nous parler. Alors que les tournages étaient terminés, un de nos intervenants nous a dit qu’un abbé était prêt à raconter son histoire pour qu’elle soit utilisée à bon escient. Il l’a fait à visage découvert. C’est rare et courageux. Je pense quand même que la solution se trouve du côté des victimes. Je sens un vent de changement. Je pense aux victimes qui reprennent le contrôle de leur vie, de leur destin. Je vois les recours collectifs. Je vois une certaine lumière. C’est encourageant.
Priez pour nous Vendredi 21 h Canal D