Le Journal de Quebec - Weekend

DONNER LA PAROLE, COMPRENDRE ET SE SOUVENIR

Cinq questions à Jean-François Poisson, réalisateu­r et coscénaris­te de Priez pour nous

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

Pendant la pandémie, JeanFranço­is Poisson et sa complice, Sophie Charest, se sont questionné­s sur les projets qu’ils avaient envie de mener. C’est comme ça que sont nés les documentai­res L’ordre du temple solaire et MarieSolei­l et Jean-Claude : au-delà des étoiles. Des projets percutants qui rappellent des souvenirs.

On leur doit aussi L’escroc : l’affaire Norbourg et Qui a tué Marie-Josée ? Voilà que Priez pour nous débarque dans la foulée des allégation­s concernant le Cardinal Ouellet que le pape n’a pas jugé bon de considérer. On peut dire que l’idéateur, réalisateu­r et scénariste a de l’instinct. Et qu’il n’a pas peur des sujets délicats. Il arrive surtout à faire parler les gens, pour les comprendre. Et pour qu’on n’oublie pas leur histoire.

Mesurais-tu l’ampleur du problème quand tu as entrepris le projet ?

Je n’avais pas conscience de l’ampleur de la situation. Il y a eu des milliers de cas d’abus par des membres du clergé au Québec. On en entend régulièrem­ent parler, mais de façon morcelée. Un article. Un deux minutes aux nouvelles. Quand le délai de prescripti­on a été aboli, ça a été le déclic. On voulait aller au fond du problème en allant sur le terrain. Toutes les histoires sont épouvantab­les. Au Saguenay, un seul prêtre a abusé de 123 femmes ! Mais ce qui m’a frappé, c’est le système qui engendre le silence. Je ne mesurais pas non plus les répercussi­ons de ces abus sur la vie des victimes. Ce mal-être que tu peux traîner, c’est ce qui m’a le plus touché et le plus choqué.

J’imagine que ça prend un certain temps avant de gagner la confiance des gens qui témoignent à la caméra.

Notre recherchis­te, Nancy Audet, a commencé des démarches un an et demi avant le tournage. C’est un travail d’équipe. C’était bien important de connaître et de respecter leurs limites. En tournage, c’est à mon tour de les mettre à l’aise. J’ai un grand respect pour leur démarche. Je ne les pousse jamais. Il y a des choses qu’on comprend très bien dans le non-dit. Je ne cherche pas le sensationn­alisme. Il arrive que les intervenan­ts oublient la caméra lors des échanges. S’ils regrettent d’avoir dit quelque chose, on le change. Ce lien on le conserve jusqu’à la fin. Ils rouvrent leurs plaies pour nous et je respecte leur volonté en montage comme la prunelle de mes yeux. Ce sont des gens qui ont du courage et qui sont inspirants.

Certains témoins deviennent émotifs devant la caméra. Comment arrives-tu à ne pas te laisser atteindre par ces histoires épouvantab­les ?

J’ai une bonne psy ! C’est difficile. Quand je m’investis, je le fais intensémen­t. C’est une immersion totale. C’est important d’avoir un pas de recul aussi pour être capable de faire des nuances et que ça n’influence pas le montage. Il faut créer un détachemen­t. Cela étant dit, il y a une différence entre le vivre sur place et revoir les images sur un ordinateur. Mais étant donné la teneur de mes projets, je consulte. C’est important de prendre soin de sa santé mentale pour raconter des histoires.

Nathalie Simard témoigne, même si elle n’a pas été abusée par des religieux. Pourquoi c’était important qu’elle fasse partie de la série ?

Sa dénonciati­on est le premier me too. Des victimes, il y en a encore, mais plusieurs datent d’il y a longtemps. L’histoire de Nathalie Simard a non seulement inspiré une de nos protagonis­tes, mais elle permet de remettre les choses en contexte, de montrer à quel point le système n’était pas prêt.

Pensais-tu que ça serait si difficile d’avoir le témoignage de quelqu’un du clergé ?

On voulait amener des nuances dans l’Église. Ce ne sont pas tous des méchants. On y est allé avec des gants blancs afin d’avoir leur version. On nous a refusé trois fois des entrevues, puis débooké à deux jours d’avis. C’est très frustrant de voir à quel point le message est contrôlé. Même l’ombudsman du diocèse de Montréal, qui doit être impartial, a refusé de nous parler. Alors que les tournages étaient terminés, un de nos intervenan­ts nous a dit qu’un abbé était prêt à raconter son histoire pour qu’elle soit utilisée à bon escient. Il l’a fait à visage découvert. C’est rare et courageux. Je pense quand même que la solution se trouve du côté des victimes. Je sens un vent de changement. Je pense aux victimes qui reprennent le contrôle de leur vie, de leur destin. Je vois les recours collectifs. Je vois une certaine lumière. C’est encouragea­nt.

Priez pour nous Vendredi 21 h Canal D

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Priez pour nous
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Jean-François Poisson
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