Le Journal de Quebec - Weekend

ROMANS D’ICI POUR L’AMOUR D’UN QUARTIER

Il faut avoir la couenne dure pour être enfant dans le Centre-Sud montréalai­s, mais aussi l’esprit libre et le coeur tendre. Des années plus tard, Francis se souvient.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Prenons une scène du roman Mélasse de fantaisie de Francis Ouellette : celle où sa grand-mère participe à un berce-o-thon.

« Sacrament : vingt-quatre heures à se bercer sans arrêt devant du monde qui mange des grilled-cheese, c’est con comme la lune, c’est cheap, c’est cheesy, c’est petit peuple à fond, c’est… C’est grandiose. »

Cela décrit bien ce roman : un récit cru, sans dentelle, parfois dérangeant, mais qui arrive à transforme­r le minable, le banal, le glauque en les parant des couleurs de la vie.

Pour autant, jamais Ouellette n’embellit le trait. Il raconte le quotidien d’un petit garçon dont la mère, aimante, se saoule à mort ; dont la voisine garde des enfants tout en recevant des « clients » (détails à l’appui !) ; dont le grand-père est un concentré de colère avec des élans d’amour… Tout le récit frémit de paradoxes, et ça le fait sonner vrai.

L’histoire du petit Francis du roman est inspirée de la vie du grand Francis, écrivain. On lui laissera déterminer la part de fiction dans la descriptio­n qu’il dresse de son univers. Mais on y croise des gens tout croches, débrouilla­rds, solidaires quand ça fait leur affaire, prêts à frapper si nécessaire, amusants, parfois attachants, souvent insupporta­bles…

AVEC UNE TOUCHE DE MAGIE

Est-ce qu’on arrive à sortir du Faubourg à m’lasse quand des sentiments aussi intenses y sont rattachés ? Ce n’est pas l’envie qui manque, comme le relate l’auteur. Jusqu’au constat, des années plus tard, que le quartier doit être montré tel qu’il est : Francis Ouellette va donc s’y employer.

Cela donne des scènes dures – abus sexuels, bagarres, intimidati­on, grande solitude –, mais aussi des moments de belle générosité ou d’irrésistib­le drôlerie.

Comme la fois où tout le voisinage se mobilise pour acheter les meubles de l’appartemen­t d’Éric, le cousin de Francis, qui s’est suicidé. Cette vente, c’est la seule manière d’arriver à payer les frais funéraires.

Et cette autre où Josette, la mère de Francis, a tellement consommé qu’effondrée sur le plancher, rien ne la fait bouger. Est-elle morte ? Désespéré, son p’tit gars lui verse du Quick aux fraises dans les oreilles… Oh ! le réveil !!!

À quoi s’ajoute une touche de magie. Car il y a Frigo aux côtés de Francis : c’est le robineux du quartier (« quêteux », c’était pour les villages et « itinérant » n’était pas encore en usage) à qui chacun fait attention.

Il est une espèce de sage qui part et revient, qui intervient avant que ça dérape, qui sait toujours ce qui se passe, et qui joue les mentors de l’ombre pour le petit Francis. La preuve de l’ombre, c’est que ses pensées figurent en note de bas de page !

Or Frigo le sait bien, lui, qu’un jour ce jeune homme écrira pour que le quartier palpite encore.

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Francis Ouellette Éditions La Mèche 214 pages 2022 MÉLASSE DE FANTAISIE
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