Le Journal de Quebec - Weekend
LA CROISIÈRE NE S’AMUSE PLUS
Après avoir démoli l’image de la famille parfaite dans sa comédie noire Force Majeure et offert une satire grinçante du milieu de l’art contemporain avec The Square, le cinéaste suédois Ruben Östlund continue de gratter le vernis de notre société moderne en s’attaquant cette fois-ci au culte de l’apparence et aux excès du capitalisme.
Sans filtre, son nouveau film qui lui a permis de remporter la seconde Palme d’or de sa carrière, au Festival de Cannes, en mai dernier, nous transporte à bord d’une croisière de luxe qui vire au cauchemar.
On y suit les personnages de Yaya (la regrettée Charlbi Dean, décédée subitement le 30 août dernier) et Carl (Harris Dickinson), un jeune couple superficiel obsédé par l’argent. Lui est mannequin, elle est influenceuse. Invités gratuitement sur un yacht pour une croisière de luxe, Yaya et Carl seront amenés à côtoyer une clientèle ultra riche composée notamment d’oligarques russes, d’un couple de retraités britanniques ayant fait fortune dans la vente de mines antipersonnel et d’un capitaine alcoolique adepte de théories marxistes (Woody Harrelson).
Mais une tempête violente viendra faire tanguer le navire et éventuellement faire éclater les rapports de classes sociales qui existaient entre les passagers et les membres de l’équipage du yacht.
Dans un entretien accordé au Journal par visioconférence la semaine dernière, Ruben Östlund a confié que l’idée de départ du film provient des observations de sa femme, une photographe de mode, sur la superficialité de cet univers.
« Je trouvais cela très curieux de découvrir comment certains mannequins avaient été en mesure de gravir les échelons dans la société grâce à leur apparence physique », relate le cinéaste de 48 ans. « Ça me fascinait de voir à quel point la beauté physique et le sexe pouvaient servir de monnaie d’échange. Je trouvais que c’était une réalité dont on ne parlait pas assez souvent dans notre société et que ce serait intéressant de mettre en scène un personnage masculin qui est au courant de sa beauté et qui sait comment l’utiliser. »
FILMER LES MALAISES
Comme dans ses films précédents, Ruben Östlund n’a pas peur de mettre en scène des personnages égoïstes, superficiels et souvent désagréables.
« Ce sont des personnages et non des êtres humains, alors je peux être aussi méchant envers eux que je veux, lancet-il en riant. Je m’intéresse plus aux échecs qu’aux succès. Si je ne peux pas faire croire au public qu’il pourrait agir de la même façon que mes personnages, ce serait un échec. Mais pour moi, il n’y a pas de bons ou de mauvais personnages. J’aime montrer des gens qui se retrouvent dans une situation embarrassante qu’ils ne savent pas comment gérer. »
Sans filtre est le premier long métrage que Ruben Östlund tourne en anglais. C’est aussi le film pour lequel il a obtenu le budget le plus important de sa carrière, soit environ 17 millions $.
« Ce qui est intéressant avec le budget d’un film, c’est que quand il augmente, les coûts de production augmentent aussi, nuance le cinéaste suédois.
« Ce n’est donc pas parce qu’on bénéficie d’un plus gros budget qu’on voit nécessairement cet argent à l’écran. En ce qui me concerne, le producteur avec lequel je travaille depuis longtemps est un de mes meilleurs amis. Ensemble, on essaie toujours de mettre en place la structure financière qui correspond le mieux aux besoins du film.
« Cette fois-ci, c’est la logistique qui a coûté très cher. Faire voyager en avion toute une équipe jusqu’en Suède et en Grèce [où les scènes à bord du yacht ont été tournées] a forcément coûté très cher. Je n’aurais probablement pas pu faire le film de cette façon au début de ma carrière. »
Sans filtre (Triangle of Sadness, en version originale anglaise) a pris l’affiche hier à Montréal et sortira dans le reste du Québec vendredi prochain.