Le Journal de Quebec - Weekend
CAPTER LA NATURE DES PERSONNAGES
5 questions à François Bouvier, réalisateur de Ma mère
François Bouvier se promène depuis une trentaine d’années entre la télévision (Urgence, Tribu.com, 30 vies, Jérémie) et le cinéma (Les matins infidèles, Histoire d’hiver, Maman Last Call, Miss Météo, Paul à Québec) afin de capter la nature même des personnages auxquels il s’attache. Ces dernières années, il a dirigé des femmes fortes. Pensons aux personnages de Ruptures, La Bolduc et La cordonnière qui sortira sur grand écran cet hiver. Et il y a Chantal, cette mère bipolaire qui vient d’atterrir sur nos ondes dans Ma mère. Un sujet filmé sans être didactique ou mélodramatique avec justesse et sensibilité.
Dans Ma mère on aborde le thème de la bipolarité. Chantal a reçu son diagnostic en prison. Elle est médicamentée. Comment montrer le sujet sans le côté spectaculaire ?
Je pense que je ne dévoile rien en disant que Chantal est en reconstruction. Elle est aussi en réparation avec sa famille puisque les frasques occasionnées par sa maladie ont causé des dommages. Elle va avoir des up and down. Parallèlement, on sent déjà que Valérie est en chute. On voit qu’elle développe un problème d’alcool et de jeu. Ce sont des manies de la maladie. Nous sommes en présence de deux personnages qui ont sans doute des problèmes similaires. C’est incarné.
Les trois enfants de Chantal ont des façons différentes d’aborder son retour : le pardon, la fuite, la colère. Quelle émotion est la plus difficile à diriger ?
Le plus difficile, c’est le superlatif de l’émotion. L’émotion est souvent à l’avant-plan de tout. Dans des scènes excessives, la tentation c’est d’aller trop loin. Au Québec, on n’a pas beaucoup de temps pour préparer les scènes, les répéter, en discuter, les reprendre. Il faut jouer avec justesse rapidement, trouver le point de friction. Quand on a la chance de travailler avec des acteurs de ce calibre, on profite de l’addition des sensibilités, de l’intelligence.
Certains comédiens ont des partitions intenses. Je pense à Marilyn Castonguay qui incarne Valérie. Quand on tourne une scène exigeante, y a-t-il une limite pour ne pas épuiser le comédien ?
Le kit de base à deux personnages c’est champ, contrechamp, two shoot et plan large. En général, j’aime que la prise 1 soit sur le plan large qui situe l’action dans le décor. Mais quand on tourne des scènes plus demandantes ou fragiles, je commence avec le gros plan. L’acteur va être dans la spontanéité. Sur les prises suivantes, il essaie de retrouver ce qu’il a donné une première fois. Si on reprend une scène trop souvent, l’émotion s’use. Avec Marilyn, on commençait souvent avec des plans serrés. Il y a une magie dans la première prise. Dans une scène à deux personnages, on commence aussi généralement avec celui qui a le plus à donner. Je dis ça, mais il arrive que certains acteurs aient besoin d’être réchauffés.
On sent que la famille de Ma mère cache un lourd secret. Comment, comme réalisateur, arrive-t-on à maintenir ce sentiment vivant ?
La lecture du scénario est tellement importante. J’ai eu la révélation et ne m’y attendais pas. Après, ma job, c’est de protéger ce secret et sa révélation. La plus grande difficulté est qu’on tourne dans le désordre. Il faut donc toujours avoir la courbe dramatique de chaque personnage en tête. Une scène, c’est moins ce qui se dit que le rapport entre les personnages. Chacun a son émotion, mais ce qui se passe à l’intérieur n’est jamais révélé à l’autre. C’est avec ça qu’on travaille. Puis on place des petits éléments de façon insidieuse pour qu’on sente que quelque chose cloche sans rien révéler. Des indices apparaissent déjà au deuxième épisode.
Comment au casting avez-vous formé cette famille ?
Chantal (Fontaine) était déjà attachée au projet. Michel (D’Astous) et Anne (Boyer) ont des acteurs qu’ils aiment et avec lesquels ils ont envie de retravailler. J’avais déjà tourné avec Chantal et avec Steve (Gagnon), mais jamais avec Rachel (Graton) ni Marilyn. J’aime associer des acteurs qui sont issus en quelque sorte de la même famille dans leur approche, dans leur manière de porter l’émotion et la façon de ressentir les choses. C’est le cas avec nos quatre membres de la famille.