Le Journal de Quebec - Weekend

ANTICOSTI a frôlé la perte de sa population, il y a 52 ans

En novembre 1971, les représenta­nts de la papetière Consolidat­ed Bathurst annoncent aux habitants de Port-Menier, à Anticosti, que leur village sera fermé et qu’ils doivent quitter les lieux.

- MATHIEU-ROBERT SAUVÉ Journalist­e Le Journal de Montréal

« Les dirigeants de la compagnie nous ont expliqué qu’ils ne faisaient pas de bonnes affaires à Anticosti et qu’ils s’apprêtaien­t à vendre l’île. Le village sera fermé et tout le monde devra partir », raconte Mireille Noël, qui avait 23 ans à l’époque.

Elle se souvient très bien de cette soirée d’informatio­n « cruelle » qui avait provoqué une vive commotion chez les quelque 450 habitants du seul village permanent de l’île d’Anticosti.

Comme d’autres familles présentes ce soir-là, les Noël ont durement encaissé le choc. « De nombreuses personnes âgées ont réagi spontanéme­nt en disant qu’elles ne quitteraie­nt jamais l’île. Elles étaient prêtes à s’éclairer à la lampe à l’huile et se chauffer au bois ! » relate Mme Noël.

VERS SEPT-ÎLES

Née à Anticosti d’une famille d’insulaires depuis plusieurs génération­s (son grand-père a côtoyé le fondateur Henri Menier, l’homme qui a introduit les cerfs de Virginie au tournant du XXe siècle), Mme Noël venait d’accoucher de son premier enfant le soir de l’annonce et n’avait aucunement l’intention de partir. Pas plus que son mari, qui travaillai­t au bureau de poste.

Mais sans emploi, la jeune famille n’avait aucun avenir. Elle a déménagé en plein hiver par avion-cargo.

« Nous nous sommes installés à SeptÎles où nous avons acheté une maison. Mais quelques années plus tard, nous sommes revenus, car Anticosti nous manquait. » Entre-temps, l’État québécois avait acquis l’île et renoncé à fermer le village.

LA TRACE DE LA CONSOL

Même si la compagnie forestière a cessé ses activités en vertu de l’acte de vente daté de 1974, elle est restée présente dans la mémoire collective.

Par exemple, on trouvait encore dans les années 1980 une barrière qui permettait à la compagnie de contrôler les allées et venues des habitants de PortMenier. Même quand la compagnie a plié bagage, la barrière a été maintenue par le ministère responsabl­e. De nombreux habitants n’avaient jamais vu la magnifique chute Vauréal, par exemple.

Du temps de la « Consol », la compagnie assurait tous les services, de l’approvisio­nnement en eau à l’administra­tion de l’école, du dispensair­e et même de la prison.

Mais comme les bâtiments appartenai­ent à la compagnie, les habitants étaient des locataires.

Les choses ont changé quand le gouverneme­nt du Québec a permis l’acquisitio­n de propriétés privées. Il faudra toutefois attendre 1984 pour que le village se dote d’un conseil municipal.

Quelques familles de résistants (les Poulin, Rodgers, Malouin, Blaney, Lelièvre...) ont tenu parole et sont restées à Port-Menier même après l’annonce de novembre 1971.

Le village, lui, avec ses maisons placardées, a eu l’air abandonné pendant deux ans avant que l’exode prenne fin et que des familles reviennent.

« Nous ne l’avons jamais regretté », dit Mme Noël, dont les deux petits-enfants constituen­t la cinquième génération d’Anticostie­ns.

Selon le plus récent recensemen­t de Statistiqu­e Canada, c’est au Québec qu’on retrouve 82 % des immigrants marocains installés au Canada, soit environ 86 000 personnes. 6 sur 10 sont installés à Montréal et 13 % à Laval.

« Il y a un attachemen­t particulie­r des Marocains et Marocaines pour le Québec et particuliè­rement pour Montréal depuis la vague d’immigratio­n qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale », commente l’historienn­e Yolande Cohen, professeur­e à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle-même d’origine marocaine.

Comme nombre de ses compatriot­es, Mme Cohen est arrivée au Canada, où sa famille s’était installée, dans les années 1970. Ce sont ses deux cousins qui avaient découvert Montréal comme touristes à l’occasion d’Expo 67.

« Ils ont tellement aimé la ville qu’ils ont voulu s’y installer. Mes parents et mes frères ont suivi », dit Mme Cohen avec amusement.

LE FRANÇAIS ET LES UNIVERSITÉ­S...

Le Maroc a son pavillon à l’Exposition universell­e, ce qui attire de nombreux visiteurs. À la suite de l’événement, « des étudiants et étudiantes d’origine maghrébine de même que des personnes issues du monde des affaires et du monde artistique affluent dans la province », peut-on lire dans l’Encyclopéd­ie canadienne.

La langue française est un élément qui attire les aspirants à l’immigratio­n canadienne d’origine marocaine, souligne l’autrice de l’article, Marine Caleb.

« Les immigrants ont longtemps choisi Montréal en raison de son caractère francophon­e, mais cette réalité pourrait changer chez les plus jeunes au profit de l’anglais », commente la diplômée en études internatio­nales jointe au Liban.

Les étudiants marocains continuent de venir séjourner à Montréal pour leurs études supérieure­s, particuliè­rement depuis que Québec et Rabat ont signé un accord de coopératio­n qui facilite les échanges en 1979.

MODÈLE D’INTÉGRATIO­N

Le Québec est encore perçu par les Marocains comme la « porte de l’Amérique et au rêve américain », ajoute Yolande Cohen.

Si sa famille était d’origine juive, les immigrants marocains qui afflueront vers le Québec à partir de 1990 seront plutôt de confession musulmane.

Le parcours de cette mère de famille, universita­ire décorée de la Légion d’honneur française et membre de la Société royale du Canada, est un bel exemple d’intégratio­n. Dès son arrivée au Québec, elle enseigne à l’Université du Québec à Rimouski et à l’UQAM, tout en participan­t à la fondation de Vélo Québec, du Regroupeme­nt des femmes du Québec et de Montréal écologique. En 1994, elle est candidate à la mairie de Montréal. Elle perd aux mains de Jean Doré.

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PHOTO FOURNIE PAR LA BANQ SAGUENAY, DOMAINE PUBLIC La chute Vauréal, à Anticosti.
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PHOTO FOURNIE PAR LA BANQ, DOMAINE PUBLIC La rivière Jupiter, sur l’île d’Anticosti.
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PHOTO FOURNIE PAR WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC Henri Menier, l’homme qui a introduit les cerfs de Virginie au tournant du XXe siècle sur l’Île, avec sa locomotive Decauville N° 416, en 1904 sur l’île d’Anticosti.
 ?? PHOTO DOMAINE PUBLIC ?? Vue aérienne de Port-Menier. Le cliché a été pris aux alentours de 1920.
PHOTO DOMAINE PUBLIC Vue aérienne de Port-Menier. Le cliché a été pris aux alentours de 1920.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR LA BANQ SEPT-ÎLES, DOMAINE PUBLIC ?? La ferme Saint-Georges à Port-Menier, Anticosti.
PHOTO FOURNIE PAR LA BANQ SEPT-ÎLES, DOMAINE PUBLIC La ferme Saint-Georges à Port-Menier, Anticosti.
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 ?? ?? Vue générale du Pavillon du Maroc et du Minaret lors de l’Expo 67, à Montréal.
L’historienn­e Yolande Cohen et sa famille marocaine. Elle tient dans ses bras sa fille Sara Cohen Fournier et est entourée de sa mère Marie Berdugo Cohen et de son père Aaron Cohen.
Vue générale du Pavillon du Maroc et du Minaret lors de l’Expo 67, à Montréal. L’historienn­e Yolande Cohen et sa famille marocaine. Elle tient dans ses bras sa fille Sara Cohen Fournier et est entourée de sa mère Marie Berdugo Cohen et de son père Aaron Cohen.
 ?? ?? Vue sur le monorail et le dôme géodésique créés par Buckminste­r Fuller pour l’Expo universell­e de 1967 à Montréal.
Vue sur le monorail et le dôme géodésique créés par Buckminste­r Fuller pour l’Expo universell­e de 1967 à Montréal.
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