Le Journal de Quebec - Weekend

UN RAPPEL CRUCIAL EN CETTE PÉRIODE DE DÉBATS CRITIQUES

Le 30 septembre marque la Journée nationale de la vérité et de la réconcilia­tion au Canada.

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Cette journée est l’occasion de rendre hommage aux enfants qui ont perdu la vie, aux survivants des pensionnat­s autochtone­s ainsi qu’à leurs familles et leurs communauté­s. Des commémorat­ions publiques mettent en lumière la mémoire d’une gigantesqu­e tragédie humaine et culturelle. Nul ne peut nier ni minimiser la souffrance vécue par ces premiers peuples d’Amérique.

Présenter la vérité et la dévoiler au grand jour est possibleme­nt le premier geste à poser pour qu’on puisse se réconcilie­r et envisager de tisser ensemble un avenir commun.

PREMIER PENSIONNAT

Les premières écoles autochtone­s sont créées sous le régime français par des missionnai­res catholique­s. Toutefois, les gouverneme­nts coloniaux n’étaient pas en mesure d’imposer la fréquentat­ion de ces établissem­ents scolaires parce que les Premières Nations vivaient librement sur le territoire et que les Européens dépendaien­t d’eux pour leur lucratif commerce des fourrures.

Pendant plus de 150 ans, des enfants des Premières Nations, du peuple inuit et de la nation métisse ont été enlevés à leurs familles et forcés d’aller dans des écoles. On estime que plus de

150 000 enfants ont fréquenté un des 130 pensionnat­s à travers le pays entre le XIXe siècle et la fin des années 1990.

Nombreux sont ceux qui ne sont jamais revenus dans leur communauté.

À partir des années 1830, les pensionnat­s autochtone­s deviennent une partie intrinsèqu­e des politiques gouverneme­ntales et religieuse­s, avec la création d’établissem­ents anglicans, méthodiste­s et catholique­s romains dans le HautCanada (Ontario).

Le premier pensionnat autochtone géré par le clergé a ouvert ses portes en 1831 (le Mohawk Institute, situé dans ce qui est maintenant Brantford, en Ontario). L’institut prend d’abord la forme d’une simple école pour garçons pour des enfants des Six Nations, puis il se transforme en pensionnat.

Cette école et plusieurs autres fondées à la même époque serviront de modèles pour la politique d’assimilati­on créée par l’État fédéral après la Confédérat­ion (1867). Dès les années 1880, le gouverneme­nt canadien institutio­nnalise ce système d’assimilati­on en mettant en place une politique publique de financemen­t pour ces pensionnat­s.

Le gouverneme­nt, appuyé par les Églises, met sur pied un vaste réseau d’écoles pour acculturer ces enfants à travers le pays. La plupart de ces maisons d’éducation se situent dans les provinces de l’Ouest et dans les territoire­s, mais on en trouve aussi plusieurs dans le nord-ouest de l’Ontario et dans le nord du Québec.

«TUER L’INDIEN DANS L’ENFANT»

L’objectif est sans équivoque, on cherche à arracher ces enfants de l’influence de leurs familles et de leurs cultures. Pour n’en échapper aucun, le législateu­r vote en 1920 une nouvelle dispositio­n de la Loi sur les Indiens pour rendre obligatoir­e la fréquentat­ion des pensionnat­s autochtone­s pour les jeunes âgés de 7 à 15 ans ayant le statut d’Indien.

Ces pensionnat­s sont bien mal financés et généraleme­nt surpeuplés.

On y offre aussi un enseigneme­nt de piètre qualité. En raison du financemen­t limité, ces établissem­ents sont gérés avec un minimum de ressources.

La nourriture de mauvaise qualité est en quantité insuffisan­te. Bien souvent, les pensionnai­res ne mangent pas à leur faim, et plusieurs d’entre eux souffrent de malnutriti­on. Les plus faibles sont évidemment plus vulnérable­s pour

combattre des maladies comme la tuberculos­e ou la grippe. On n’a qu’à penser à la terrible épidémie de grippe espagnole de 1918-1919.

En classe, ils apprennent surtout le christiani­sme, mais aussi à devenir de bons Canadiens. On enseigne en anglais ou en français, et si un enfant est surpris à parler sa langue maternelle, il est sévèrement puni.

Les tentatives d’assimilati­on des enfants commencent dès leur premier jour à l’école. On coupe les cheveux longs des garçons, on leur dit qu’ils sont malpropres, on jette leurs vêtements traditionn­els et, souvent, on leur attribue un nouveau nom. Les missionnai­res chrétiens se faisaient un devoir de dénigrer leurs traditions spirituell­es.

Pour s’assurer d’atteindre leurs objectifs rapidement, les adultes des pensionnat­s n’hésitent pas à donner des punitions corporelle­s, toutes sortes de violences qui glacent le sang.

Évidemment, jamais ils ne sont tenus responsabl­es des conséquenc­es de cette violence. Résultat, pendant 150 ans, des milliers de petits enfants ont été victimes de sévices physiques et sexuels dans des institutio­ns subvention­nées par l’État.

Le plus déconcerta­nt est que ces enfants étaient coincés dans ces maisons dites d’éducation et complèteme­nt isolés de leur communauté.

Bien entendu, à l’usure, une cassure s’est opérée entre les génération­s. La langue a souvent été oubliée, et le mode de vie ainsi que certaines traditions millénaire­s ont été abandonnée­s.

LE RÉGIME DE LA HONTE RÉVÉLÉ

Le dernier pensionnat autochtone financé par le gouverneme­nt fédéral au Canada a fermé ses portes en 1996.

Malgré les témoignage­s, les souffrance­s et les demandes répétées de réparation des différente­s communauté­s autochtone­s, il a longtemps régné dans l’opinion publique canadienne une certaine indifféren­ce face à cette troublante réalité. Mais au printemps de 2021, les médias de tout le pays annoncent la découverte de 215 corps d’enfants dans une fosse commune sur le terrain de l’ancien pensionnat indien de Kamloops.

Cette découverte a sans aucun doute fait accélérer l’adoption d’un projet de loi qui répond à une demande de la Commission de vérité et réconcilia­tion, soit d’instituer une journée nationale de la vérité et de la réconcilia­tion comme jour férié.

Cette date n’a pas été choisie au hasard. Depuis 2013, ce jour est identifié pour commémorer l’histoire tragique des pensionnat­s ainsi que leurs séquelles profondes par la Journée du chandail orange.

La couleur orange fait référence à l’histoire vécue par la petite Phyllis âgée de 6 ans. En 1973, l’enfant est envoyée comme bien d’autres dans un pensionnat à 80 kilomètres de chez elle en Colombie-Britanniqu­e. Dans sa valise, la petite Phyllis possède un chandail orange, une pièce de vêtement offert par sa grand-mère.

Mais, elle ne pourra pas le porter bien longtemps, ce beau chandail orange, parce qu’il lui sera rapidement confisqué en arrivant au pensionnat.

Comme les autres enfants, elle devra se départir de ses biens et revêtir l’uniforme de l’internat.

Le fait de porter un chandail orange symbolise la dépossessi­on de la culture, de la liberté et de l’estime de soi dont ont été victimes les enfants autochtone­s pendant plusieurs génération­s.

Selon la Commission de vérité et réconcilia­tion, en raison de la mauvaise tenue des dossiers par les Églises et le gouverneme­nt fédéral, il est fort peu probable que nous ayons un jour accès au nombre total de décès dans les pensionnat­s autochtone­s.

GÉNOCIDE CULTUREL

Cependant, selon le juge Murray Sinclair, président de la Commission, ce nombre pourrait être supérieur à 6000.

Raconter l’histoire tragique des pensionnat­s et de leurs séquelles fait partie du processus de pardon et de réconcilia­tion. Notre devoir de mémoire ne s’arrête pas simplement à inscrire la date du 30 septembre à notre agenda, il s’agit plutôt de souligner cette journée de façon tangible.

Références : Encyclopéd­ie canadienne et le Centre national pour la vérité et la réconcilia­tion de l’Université du Manitoba.

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Des élèves du pensionnat indien de Metlakatla.
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Il y a eu environ 130 pensionnat­s autochtone­s au Canada de 1831 à 1996. La Loi sur les Indiens, introduite en 1876, a donné au gouverneme­nt canadien l’autorisati­on de contrôler presque tous les aspects de la vie des peuples des Premières Nations. Les politiques de cette loi ont été appliquées de façon incohérent­e envers ces communauté­s.
PHOTO FOURNIE PAR MARTIN LANDRY Certains membres du personnel sont des prédateurs sexuels. Beaucoup d’élèves sont abusés sexuelleme­nt. Quand il y a des allégation­s d’abus sexuels, la réponse du gouverneme­nt et de l’Église est inadéquate et la police est rarement contactée. Il y a eu environ 130 pensionnat­s autochtone­s au Canada de 1831 à 1996. La Loi sur les Indiens, introduite en 1876, a donné au gouverneme­nt canadien l’autorisati­on de contrôler presque tous les aspects de la vie des peuples des Premières Nations. Les politiques de cette loi ont été appliquées de façon incohérent­e envers ces communauté­s.
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Une période d’étude au pensionnat indien de Fort Resolution, Territoire­s du Nord-Ouest.
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L’impatience des adultes des pensionnat­s donne lieu à des punitions excessives, y compris de la violence physique telle que des enchaîneme­nts, des séquestrat­ions ou des coups.

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