Le Journal de Quebec - Weekend

L’enlèvement de James Cross et le déclenchem­ent de la crise d’Octobre

À 8 h 20, le 5 octobre 1970, le diplomate britanniqu­e James Richard Cross est enlevé à sa résidence située au 1297, rue Redpath-Crescent.

- MARTIN LANDRY Historien,

Ce matin-là, on apprend à la radio que des hommes déguisés en livreur se sont présentés à la maison du diplomate et l’ont enlevé à la pointe d’une mitraillet­te avant de disparaîtr­e dans les rues de Montréal.

La police est en état d’alerte. C’est le début de la crise d’Octobre.

UNE PÉRIODE TROUBLE DE L’HISTOIRE POLITIQUE CANADIENNE

Au cours des années 1960, le Québec est secoué par l’apparition de groupes terroriste­s, comme le Front de libération du Québec (FLQ).

Ses membres croient que l’unique avenir possible pour la seule province canadienne majoritair­ement francophon­e au pays est l’indépendan­ce. Entre 1963 et 1970, les leaders du FLQ mettent en place tout un réseau clandestin qui a la capacité de poser des gestes d’impact.

Le FLQ attaque principale­ment des symboles anglo-saxons. Le groupe revendique plus de 200 attentats à la bombe et commet de nombreux vols.

Il fait aussi exploser une partie de la résidence du maire de Montréal, Jean Drapeau. Ces actes, qui tueront plusieurs citoyens, sont d’une violence alors inconnue au Québec. En 1970, les prisons québécoise­s se remplissen­t de plus en plus de membres du FLQ.

LA CELLULE LIBÉRATION

À l’automne 1969, le mouvement felquiste de Montréal se scinde en deux gangs distincts.

Un premier groupe, dirigé par Paul Rose, prend le nom de cellule Chénier tandis qu’un deuxième, dirigé par Jacques Lanctôt, prend le nom de cellule Libération. Dans cette cellule, on retrouve également les soeurs de Jacques Lanctôt, Jacinthe et Louise, Jacques Cossette-Trudel, Marc Carbonneau, Yves Langlois (alias Pierre Séguin) et Nigel Hamer. Évidemment, quand la cellule Libération passe à l’action et enlève l’attaché commercial du Royaume-Uni à Montréal, James Richard Cross, les revendicat­ions du FLQ trouveront des échos partout au pays, mais aussi à l’internatio­nal.

C’est le premier enlèvement politique de l’histoire de l’Amérique du Nord. En échange de la libération du diplomate, la cellule Libération formule sept exigences dont la libération de 23 prisonnier­s politiques du FLQ, la diffusion et la publicatio­n du manifeste du FLQ, une somme de 500 000 $ et un saufcondui­t vers Cuba ou l’Algérie pour ses membres.

LA PRESSION EST À SON COMBLE

Le gouverneme­nt du Québec dispose de 24 heures seulement pour répondre aux demandes. Il rejette rapidement l’ultimatum, mais se dit ouvert à négocier avec les ravisseurs.

Montréal est en état d’alerte, tous les policiers de la ville cherchent à retrouver la trace de la cellule Libération.

Une bonne trentaine de personnes sont arrêtées pendant que la télévision de Radio-Canada et de nombreux journaux francophon­es divulguent le manifeste du FLQ. Le chef du Parti québécois, René Lévesque, publie un article suppliant le FLQ de ne pas infliger de sévices au diplomate britanniqu­e. Les ravisseurs jettent du lest, ils prouvent que Cross est toujours vivant et reporte l’échéance au 10 octobre à 18 h.

Le 10 octobre, juste avant l’échéance, le ministre de la Justice du Québec, Jérôme Choquette, déclare officielle­ment que si Cross est libéré, les ravisseurs se verront accorder leur exil en sécurité hors du Canada.

Peu après l’échéance, deux membres de l’autre groupe, la cellule Chénier, enlèvent le vice-premier ministre du Québec, Pierre Laporte, devant sa résidence de la Rive-Sud de Montréal.

Aucune des autres demandes des ravisseurs ne sera satisfaite.

PIERRE ELLIOT TRUDEAU ENTRE EN SCÈNE

Le 12 octobre, le premier ministre Trudeau demande à l’armée canadienne de déployer des soldats dans la capitale fédérale. Pour répondre aux critiques, Trudeau dira :

« Il y a beaucoup d’âmes sensibles qui n’aiment pas voir des gens avec des casques et des fusils. Tout ce que je peux leur dire, c’est : allez-y, continuez à larmoyer. Il est plus important de maintenir l’ordre public dans la société que de se préoccuper des faibles. » « Eh bien, just watch me .»

Pendant qu’un haut fonctionna­ire entame des négociatio­ns avec l’avocat du FLQ, Me Robert Lemieux, le gouverneme­nt du Québec demande officielle­ment l’aide de l’armée. En moins d’une heure, 1000 soldats sont déployés à Montréal. Robert Bourassa et le maire de Montréal, Jean Drapeau, réclament tout de même une aide fédérale supplément­aire.

Dans les rues de Montréal, plus de 3000 étudiants se rassemblen­t pour appuyer le FLQ et demandent aux décideurs publics d’accepter les exigences des terroriste­s.

La pression est si forte que le gouverneme­nt québécois annonce son intention de remettre cinq prisonnier­s du FLQ en liberté conditionn­elle et de garantir aux deux cellules du FLQ une escorte sûre hors du pays en échange des otages.

LA PLUS IMPORTANTE INTERVENTI­ON MILITAIRE EN TEMPS DE PAIX AU CANADA

Le 16 octobre, à la demande du premier ministre du Québec, du gouverneme­nt municipal de Montréal et du service de police de Montréal, le premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau prend une grave décision. Il met en place la Loi sur les mesures de guerre.

Le FLQ est déclaré hors-la-loi, les libertés civiles normales des citoyens sont suspendues. Dès lors, on autorise les arrestatio­ns et les détentions sans inculpatio­n. Quelque 48 heures après la promulgati­on de la loi, plus de 250 personnes sont arrêtées.

Le lendemain en fin de soirée, Pierre Laporte est retrouvé mort, non loin de l’aéroport de Saint-Hubert, dans le coffre d’une voiture. Selon le rapport du légiste, il serait décédé par asphyxie, probableme­nt étranglée avec la chaîne qu’il portait autour du cou.

Les médias québécois communique­nt la triste nouvelle, une certaine confusion règne dans les salles de presse.

La radio va plus loin et annonce faussement la mort de James Cross. L’informatio­n sera rapidement démentie.

LE DÉNOUEMENT DE LA CRISE

Le diplomate britanniqu­e James Richard Cross sera finalement relâché sain et sauf après avoir passé 59 jours dans une chambre d’un appartemen­t de Montréal-Nord.

Il sera libéré en échange d’une évacuation sans entraves de tous les membres de la cellule Libération (y compris la fille en bas âge de Louise Lanctôt) vers l’île de Cuba dans les Caraïbes.

Quant aux ravisseurs et assassins de Pierre Laporte, ils seront arrêtés plus tard après plusieurs semaines en cavale.

Épisode controvers­é de la vie politique canadienne, la crise d’Octobre marque pratiqueme­nt la fin des actions terroriste­s au Québec. L’invocation de la Loi sur les mesures de guerre est sévèrement critiquée par les leaders nationalis­tes au Québec et par les défenseurs des libertés civiles dans tout le pays.

En 1988, la Loi sur les mesures de guerre est remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence.

 ?? ?? La résidence cossue où habitait James Richard Cross, au 1297 rue Redpath-Crescent, dans le Golden Square Mile, à Montréal.
La résidence cossue où habitait James Richard Cross, au 1297 rue Redpath-Crescent, dans le Golden Square Mile, à Montréal.
 ?? ?? L’attaché commercial britanniqu­e James Cross joue au solitaire sur cette photo rendue publique par ses ravisseurs.
L’attaché commercial britanniqu­e James Cross joue au solitaire sur cette photo rendue publique par ses ravisseurs.
 ?? ?? Entre 1963 et 1970, les felquistes ont perpétré des dizaines de vols et commis plus de 200 attentats à la bombe ayant fait six morts.
Entre 1963 et 1970, les felquistes ont perpétré des dizaines de vols et commis plus de 200 attentats à la bombe ayant fait six morts.
 ?? ??
 ?? PHOTO FOURNIE PAR GERMAIN BEAUCHAMP ?? L’Armée canadienne dans nos rues à l’automne 1970.
PHOTO FOURNIE PAR GERMAIN BEAUCHAMP L’Armée canadienne dans nos rues à l’automne 1970.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR LA PRESSE CANADIENNE ?? Le FLQ est fondé par deux Québécois, Gabriel Hudon et Raymond Villeneuve, et le Belge Georges Schoeters. Leur philosophi­e est influencée par les discours des leaders les plus radicaux des autres mouvements indépendan­tistes québécois comme le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN). Les leaders du FLQ sont intéressés par des mouvements anticoloni­aux et communiste­s actifs en Algérie et à Cuba et privilégie­nt le vandalisme comme moyen de contestati­on politique.
PHOTO FOURNIE PAR LA PRESSE CANADIENNE Le FLQ est fondé par deux Québécois, Gabriel Hudon et Raymond Villeneuve, et le Belge Georges Schoeters. Leur philosophi­e est influencée par les discours des leaders les plus radicaux des autres mouvements indépendan­tistes québécois comme le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN). Les leaders du FLQ sont intéressés par des mouvements anticoloni­aux et communiste­s actifs en Algérie et à Cuba et privilégie­nt le vandalisme comme moyen de contestati­on politique.
 ?? PHOTO DU DOMAINE PUBLIC ?? Gabriel Hudon, un des membres fondateurs du FLQ, lors de son procès en 1963.
PHOTO DU DOMAINE PUBLIC Gabriel Hudon, un des membres fondateurs du FLQ, lors de son procès en 1963.
 ?? PHOTO D’ARCHIVES ?? Une du Journal de Montréal du 16 octobre 1970 - La loi sur les mesures de guerre est décrétée par Ottawa lors de la crise d’Octobre.
PHOTO D’ARCHIVES Une du Journal de Montréal du 16 octobre 1970 - La loi sur les mesures de guerre est décrétée par Ottawa lors de la crise d’Octobre.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR LES ARCHIVES DU MCH, FONDS ANDRÉ DUCHESNE ?? Première page du manifeste du FLQ, diffusé à Radio-Canada en octobre 1970.
PHOTO FOURNIE PAR LES ARCHIVES DU MCH, FONDS ANDRÉ DUCHESNE Première page du manifeste du FLQ, diffusé à Radio-Canada en octobre 1970.

Newspapers in French

Newspapers from Canada