Le Journal de Quebec - Weekend

ESCAPADE À SALEM

Classique des classiques, Salem est la destinatio­n par excellence au mois d’octobre pour une escapade à saveur halloweene­sque. Près d’un demi-million de personnes s’y rendent alors pour célébrer cette fête.

- MARIE-EVE BLANCHARD Collaborat­ion spéciale

C’est dans cette petite bourgade qu’au XVIIe siècle, des délations menèrent à une série de procès hors norme où une centaine de femmes furent accusées de sorcelleri­e. Six hommes et 14 femmes furent exécutés au cours de l’été 1692. Rien de tel que cette triste et célèbre histoire pour que le mythe entourant Salem continue de fasciner et enveloppe la ville d’une aura mystérieus­e.

Éminemment touristiqu­e, la ville regorge depuis plusieurs années de musées, de maisons hantées, d’attraction­s et de magasins de toutes sortes qui se prêtent d’autant plus à une visite automnale pour les fans d’envoûtemen­ts ou d’horreur.

Parmi les incontourn­ables, l’imposante maison noire, plus connue sous le nom de « Witch House ». Reconverti­e en musée d’histoire, elle fut le domicile de Jonathan Corwin, l’un des juges ayant participé au procès des sorcières de Salem, et est aujourd’hui le seul bâtiment de la ville à témoigner directemen­t de cette période.

Le Salem Witch Museum retrace quant à lui l’histoire du célèbre procès en différents tableaux.

Et le renommé Peabody Essex Museum, abritant une variété d’exposition­s culturelle­s et compte 1,5 million d’oeuvres d’art et d’artefacts du monde entier, vaut la visite. Il met souvent de l’avant une exposition relative à l’Halloween à cette période et cette année, et jusqu’à la fin du mois de juillet 2024, on peut y découvrir Bats!, une exposition interactiv­e se consacrant à l’univers fascinant des chauves-souris.

ARCHITECTU­RE PRÉSERVÉE

Salem est également connue pour son architectu­re du XVIIe siècle bien préservée et pour son rôle de port

important à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Il est agréable d’y flâner simplement pour admirer les devantures des maisons des années 1600, découvrir son cimetière historique et profiter de l’animation de la ville.

Quoi de mieux qu’une visite guidée une fois la nuit tombée afin de découvrir l’histoire de la ville !

Un arrêt s’impose aussi devant la Bewitched Statue, cette statue mettant de l’avant Elizabeth Montgomery, l’interprète de Samantha Stevens, Ma sorcière bien-aimée, érigée depuis 2005. Malgré le fait que la série se déroulait au Connecticu­t, la statue vient commémorer à la fois l’histoire surnaturel­le de la ville et l’une des émissions de télévision les plus populaires de son époque, la septième saison ayant été tournée à Salem.

Cette année-là, une vague considérab­le d’immigrants en provenance des îles britanniqu­es est arrivée au Canada. En tout, 98 000 immigrants, dont 78 700 Irlandais, sont passés par le port de Québec.

Les Irlandais avaient quitté leur pays à cause d’une importante famine qui, depuis 1845, rendait leur vie très difficile. La Grande Famine (18451852) avait été causée notamment par un parasite, le mildiou, qui s’attaquait à la pomme de terre.

CRISE EUROPÉENNE

La crise s’est étendue dans l’Europe entière, mais a touché particuliè­rement l’Irlande, où la paysanneri­e pratiquant la monocultur­e de la pomme de terre était vulnérable. Le parasite a entraîné une baisse de 40 % de la production en 1845.

Une grande partie de la paysanneri­e irlandaise, principale­ment locataire ou petit propriétai­re, a été expulsée des terres, faute de pouvoir payer le loyer ou les taxes.

La population irlandaise a été dévastée par la famine, près d’un million d’Irlandais ont péri. Les personnes disposant d’un petit pécule ont choisi de fuir l’Irlande, laissant derrière elles les plus pauvres et les plus vulnérable­s. La situation plus que chaotique amène les autorités à encourager l’émigration, malgré l’épidémie de typhus qui faisait déjà rage.

Sur les 9 millions d’Irlandais (chiffre avant la famine), 2 millions se sont réfugiés en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada et en Australie.

ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Souvent en mauvaise santé à l’embarqueme­nt, ces émigrants devaient s’entasser dans les bateaux qui les amenaient au Canada dans des conditions déplorable­s. La surpopulat­ion sur les bateaux et les conditions d’hygiène déficiente­s ont grandement contribué à l’incubation de la maladie et à sa transmissi­on à l’homme.

Le typhus est une bactérie transmise par les insectes (acariens, puces et tiques) vivant sur le dos des rongeurs, comme le rat. La maladie, qui se caractéris­ait par une fièvre intense, des éruptions cutanées douloureus­es et un état de faiblesse extrême proche du coma, pouvait tuer les malades en seulement trois ou quatre jours.

Le contexte était donc idéal pour que le typhus se propage à grande échelle.

Ainsi, en 1847, plus de 9000 immigrants en provenance des îles britanniqu­es sont morts du typhus durant la traversée de l’océan. Environ 5000 cadavres sont jetés à la mer pendant le voyage, et on en a trouvé encore plus de 2000 lorsque les bateaux ont atteint leur destinatio­n.

IMMIGRATIO­N À RISQUE

À leur arrivée au Canada, les immigrants doivent transiter par GrosseÎle, un lieu de quarantain­e.

Ceux à qui on a permis de continuer la route ont propagé l’épidémie à Québec, à Montréal, à Kingston et à Toronto. Montréal a été l’une des villes les plus touchées au Canada-Est. Entre le moment où les premiers bateaux sont arrivés, en mai 1847, et celui où l’on a déclaré la fin de l’épidémie, en avril 1848, plus de 6000 immigrants sont décédés.

Les autorités coloniales avaient été en mesure d’organiser la mise en quarantain­e des arrivants sur l’île de Grosse-Île, mais ils n’avaient pas prévu que l’épidémie se propagerai­t quand même sur le territoire.

Les infrastruc­tures de Grosse-Île n’étaient donc pas prêtes à faire face à une épidémie d’une telle ampleur. Les immigrants qui ne semblaient pas contaminés par le typhus pouvaient continuer leur route, mais plusieurs d’entre eux étaient tout de même porteurs de la maladie. Ils ont contribué à la répandre dans les bateaux qui se dirigeaien­t vers Québec ou Montréal. Par conséquent, les autorités montréalai­ses ont dû réagir promptemen­t pour tenter de freiner la propagatio­n de la maladie en ville.

Pris au dépourvu, afin d’éviter que les malades ne s’entassent sur les quais, on a décidé de placer les premiers immigrants malades dans des « sheds » (baraques) à Pointe-SaintCharl­es, non loin du lieu autrefois occupé par les travailleu­rs du canal de Lachine.

Rapidement, les trois sheds construite­s au début n’ont plus suffi à la demande. Le maire de Montréal, John Easton Mills, en a fait bâtir d’autres. Il s’est lui-même porté volontaire pour aider à soigner les malades. Le typhus l’a malheureus­ement emporté au mois de novembre 1847.

En ville, les résidents les plus malades étaient soignés au Montreal General Hospital.

Les autorités avaient donc trouvé un endroit assez isolé du reste de la population pour envoyer les immigrants malades, mais il fallait aussi trouver une façon de les soigner.

LE CLERGÉ ET LES SERVICES SOCIAUX

Traditionn­ellement, c’étaient les ordres religieux qui s’occupaient du soin des malades à Montréal. En plus, avec l’arrivée de Mgr Bourget à la tête de l’évêché de Montréal en 1840, les communauté­s religieuse­s connaissai­ent une grande période de croissance.

C’est ainsi que plusieurs communauté­s religieuse­s se sont portées volontaire­s pour prêter main-forte aux immigrants qui arrivaient contaminés, affaiblis et sans ressource.

Les Soeurs grises ont été les premières à offrir leur aide aux autorités.

Ce qu’elles ont trouvé à leur arrivée dans les baraques de Pointe-SaintCharl­es était inimaginab­le et profondéme­nt troublant.

La descriptio­n qu’on peut lire dans les annales de la terrible épidémie de 1847 est saisissant­e :

« Jamais langue humaine ne pourrait rendre l’affreux et repoussant spectacle qui s’offrit à leurs regards !!! Des centaines de pestiférés dans la saleté la plus dégoûtante, gisant pour la plupart sur le plancher nu, aux prises avec la mort et dans des souffrance­s que la plume se refuse à décrire. »

Comme pour ajouter à leur souffrance, les malades devaient s’entasser dans les baraques de bois sur un terrain boueux de Pointe-Saint-Charles.

Dans chaque baraque, qui mesurait de 100 à 200 pieds de longueur et de 30 à 40 pieds de largeur, on pouvait compter jusqu’à 180 couchettes, de simples planches de bois recouverte­s d’un peu de paille.

La situation était désolante et les malades, trop nombreux. Les pauvres soeurs faisaient de leur mieux, mais elles étaient incapables de prendre soin de tout le monde. Les mourants se retrouvaie­nt donc souvent entourés de cadavres qui étaient passés inaperçus tellement l’endroit était surpeuplé.

Les premiers cas de fièvre ont été observés le 26 mai et, déjà, le 21 juin, on rapportait que 850 personnes occupaient les sheds et que 20 personnes décédaient en moyenne chaque jour.

Rapidement, les Soeurs grises n’ont plus été assez nombreuses et ont demandé de l’aide. Ainsi, à PointeSain­t-Charles, pendant toute la durée de l’épidémie, les religieuse­s des congrégati­ons des Soeurs grises, des Soeurs de la Providence et des Hospitaliè­res de l’Hôtel-Dieu, de même que les prêtres sulpiciens et quelques jésuites se sont relayés au chevet des

malades. Ces religieux et religieuse­s ont été aussi soutenus par quelques médecins et infirmière­s.

Rapidement, plusieurs soeurs grises ont été atteintes du typhus. Leur congrégati­on a donc quitté les sheds le 7 juillet pour tenter de se remettre sur pied. Les Soeurs de la Providence y sont demeurées jusqu’au 30 septembre. Elles ont été aussitôt aidées par les Hospitaliè­res de l’Hôtel-Dieu, à qui l’on a donné une permission spéciale pour sortir de leur cloître dès le 2 juillet.

Elles ont cependant quitté l’endroit une semaine plus tard pour aller soigner les prêtres qui avaient contracté la maladie. Le 26 septembre, les Soeurs grises étaient de retour aux sheds et y sont restées jusqu’à leur fermeture en avril 1848.

Même si ces trois congrégati­ons religieuse­s ont fait de leur mieux pour soulager les malades, elles n’étaient jamais assez nombreuses et ont dû demander de l’aide à d’autres communauté­s de l’extérieur de la ville. Les Soeurs grises ont appelé leurs consoeurs d’Ottawa et

les Hospitaliè­res, leurs consoeurs de La Flèche en France.

On peut dire que les communauté­s religieuse­s ont fourni le plus grand effort lors de l’épidémie. Ce sont elles qui ont tenu à bout de bras les organisati­ons responsabl­es de soigner les malades, et elles sont parvenues à s’en sortir malgré une aide très limitée de l’État.

Le rôle qu’elles ont joué auprès des malades était donc considérab­le.

Leur grand dévouement auprès des malades ne les a pas épargnées. Néanmoins, fortes de leurs conviction­s religieuse­s, elles ont offert une présence qui a largement contribué à restreindr­e la propagatio­n du typhus malgré les pertes qu’elles-mêmes ont vécues.

L’épidémie s’est finalement estompée en avril 1848. Pour marquer l’implicatio­n des congrégati­ons religieuse­s, Mgr Bourget a commandé à Théophile Hamel un ex-voto présentant l’épreuve de l’épidémie de typhus à Montréal. Depuis 1849, le tableau, intitulé Le typhus trône sous le jubé de l’orgue à l’entrée de la chapelle de Notre-Dame-de-Bon-Secours de Montréal.

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de la série Bewitched , Ma sorcière bien-aimée.
Zombies entourant la statue de la série Bewitched , Ma sorcière bien-aimée.
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PHOTO FOURNIE PAR MASSACHUSE­TTS OFFICE AND TRAVEL TOURISM Le Salem Witch Museum
 ?? PHOTO FOURNIE PAR MASSACHUSE­TTS OFFICE AND TRAVEL TOURISM ?? La « Witch House », reconverti­e en musée d’histoire, fut le domicile de Jonathan Corwin, l’un des juges ayant participé au procès des sorcières de Salem.
PHOTO FOURNIE PAR MASSACHUSE­TTS OFFICE AND TRAVEL TOURISM La « Witch House », reconverti­e en musée d’histoire, fut le domicile de Jonathan Corwin, l’un des juges ayant participé au procès des sorcières de Salem.
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PHOTO FOURNIE PAR KATE FOX, DESTINATIO­N SALEM De l’animation a régulièrem­ent lieu sur Essex Street tout au long du mois d’octobre.
 ?? ?? Baraques où étaient confinés les immigrants irlandais malades du typhus, à Pointe-Saint-Charles en 1847.
Baraques où étaient confinés les immigrants irlandais malades du typhus, à Pointe-Saint-Charles en 1847.
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 ?? PHOTO FOURNIE PAR D. A. MCLAUGHLIN, BIBLIOTHÈQ­UE ET ARCHIVES CANADA ?? Chambres de désinfecti­on à la vapeur, vers 1900.
PHOTO FOURNIE PAR D. A. MCLAUGHLIN, BIBLIOTHÈQ­UE ET ARCHIVES CANADA Chambres de désinfecti­on à la vapeur, vers 1900.
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PHOTO FOURNIE PAR FOND WILLIAM NOTMAN, MUSÉE MCCORD. Pose de la pierre monumental­e marquant les tombes de 6000 immigrants à Montréal.
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PHOTO FOURNIE PAR LA BANQ Dans les archives de la congrégati­on des Soeurs de la Charité de Montréal (les Soeurs grises), nous avons trouvé le récit de soeur Baby qui témoigne des conditions de vie difficiles des immigrants irlandais atteints du typhus, arrivés à Montréal en 1847.
 ?? PHOTOS FOURNIES PAR MARTIN LANDRY ?? Les Soeurs soignant les malades.
PHOTOS FOURNIES PAR MARTIN LANDRY Les Soeurs soignant les malades.
 ?? The Illustrate­d London News, PHOTO DOMAINE PUBLIC ?? « La Famine en Irlande, funéraille­s à Skibbereen », dessin de Frederick James Smyth paru dans le 30 janvier 1847.
The Illustrate­d London News, PHOTO DOMAINE PUBLIC « La Famine en Irlande, funéraille­s à Skibbereen », dessin de Frederick James Smyth paru dans le 30 janvier 1847.
 ?? ?? Carte de Pointe-Saint-Charles qui montre l’emplacemen­t des sheds des immigrants irlandais de 1847.
Carte de Pointe-Saint-Charles qui montre l’emplacemen­t des sheds des immigrants irlandais de 1847.
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PHOTO FOURNIE PAR PARKS CANADA AGENCY / AGENCE PARCS CANADA Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais. Ce lieu témoigne de l’importance de l’immigratio­n au Canada, dont le Québec était la porte d’entrée, du début du 19e siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale.

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