Le Journal de Quebec - Weekend

Un cessez-le-feu comme cadeau de Noël

Décembre 1914 était particuliè­rement glacial et humide dans le nord de la France. La Grande Guerre était engagée sur le front ouest depuis trois mois. Les soldats se terraient dans leurs tranchées, des trous à rats boueux, insalubres et souvent inondés.

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Mal équipés pour affronter l’arrivée de l’hiver, les soldats de la première ligne de front étaient transpercé­s par le froid.

Personne n’échappait aux engelures qui ont forcé les chirurgien­s à effectuer des centaines de milliers d’amputation­s.

Des milliers de jeunes Français mobilisés étaient partis au front à la fin des grandes récoltes, embrassant leur mère avec la promesse de revenir à Noël, mais ils ont été trompés.

En décembre 1914, on s’est mis à douter, il semblait de plus en plus évident que ce serait impossible de retrouver les siens pour les célébratio­ns.

Le conflit s’était enlisé, et les soldats étaient en bien mauvais état. Ces hommes étaient épuisés, sales et mal en point. Transis d’incertitud­es et d’anxiété, ils se sont résignés à passer le réveillon dans leur tranchée gelée, la peur au ventre.

Puis, comme une bouffée de chaleur, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1914, une chose surprenant­e s’est produite sur plusieurs fronts.

TRANCHÉES AUTOUR DE LA VILLE

Cette nuit de Noël, des soldats français et britanniqu­es terrés dans leurs trous près de la ville d’Ypres ont entendu un chant ou le son d’un harmonica, et ont vu une bougie ou un petit arbre de Noël placés le long de la tranchée adverse. Un soldat, puis deux, puis des centaines des deux camps ont baissé la garde, le temps d’une courte trêve. Des ombres ont franchi les quelques pas nécessaire­s pour saluer l’ennemi. Ils se sont rejoints en terrain neutre au milieu d’un paysage dévasté par les obus.

Certains ont courageuse­ment défié les ordres de l’état-major pour quelques heures d’humanité et de rires. Malgré la barrière de la langue, ils ont discuté, ont chanté, se sont montré des photos de leurs amoureuses, ont joué au football.

Des visites guidées de leurs tranchées ont même eu lieu pour comparer et améliorer les conditions. Malgré le peu de ressources qu’ils possédaien­t, ils se sont échangé des cigarettes, du chocolat ou de l’alcool.

Une lueur d’humanité dans la noirceur de la guerre. Cette folie meurtrière s’est tue pendant quelques heures, la paix a tissé des liens improbable­s entre ces jeunes hommes.

Cette pause s’est vécue sur de nombreux fronts de l’Ouest, mais pas partout. On sait, en lisant les archives, que des combats ont eu lieu sur certaines positions et que des centaines de soldats ont perdu la vie en cette soirée du 24 décembre 1914. Si quelques-unes de ces trêves étaient spontanées et ont pris de court certains états-majors, d’autres ont été négociées. Cette fraternisa­tion presque irréelle a gagné un nombre impression­nant de soldats de toutes les nationalit­és impliquées sur ces fronts.

Le sujet a longtemps été caché, évidemment à cause de la censure militaire, parce que l’événement a choqué les généraux, mais aussi à cause de la désinforma­tion faite par les journaux français de l’époque.

Ce qui est certain, c’est qu’envers et contre tous, des voix chaleureus­es aux accents germanique­s, anglo-saxons et français ont résonné dans le no man’s land cette nuit du 24 décembre.

Profitant de cette soudaine camaraderi­e, des soldats ont recueilli les corps de leurs compagnons d’armes tombés au combat pour leur offrir une vraie sépulture.

NUIT DE FRATERNISA­TION

Ce cessez-le-feu pendant la Première Guerre mondiale n’est pas le seul dans l’histoire. Il faut savoir qu’il était fréquent que des trêves soient décrétées lors de combats épuisants sur des champs de bataille avec autant de proximité et sur de longues périodes. En fait, cela se fait encore, pensons au conflit russo-ukrainien.

Cet arrêt pour le premier réveillon de Noël de la Grande Guerre entre des troupes allemandes, britanniqu­es, belges et françaises n’a pas rejoint les bataillons canadiens. Il a touché plus particuliè­rement les troupes allemandes et britanniqu­es dans les tranchées le long du front de l’Ouest.

Les journaux britanniqu­es et allemands ne se sont pas gênés pour raconter cette nuit de fraternisa­tion. Cependant, en France, il en a été autrement.

Leurs journaux étaient devenus de véritables outils de propagande au service de l’état-major, et cette fraternisa­tion est demeurée cachée aux Français.

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PHOTOS FOURNIES PAR MARTIN LANDRY Une croix, à Saint-Yvon, en Belgique, pour célébrer le site de la trêve de Noël pendant la Première Guerre mondiale, en 1914.
 ?? ?? Peter Knight et Stefan Langheinri­ch, descendant­s de vétérans de la Grande Guerre, lors du dévoilemen­t du mémorial de la trêve en 2008.
Peter Knight et Stefan Langheinri­ch, descendant­s de vétérans de la Grande Guerre, lors du dévoilemen­t du mémorial de la trêve en 2008.
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