Le Journal de Quebec - Weekend

70 ans de Carnaval à Québec

- JEAN-FRANÇOIS CARON Historien Collaborat­oon spéciale

Le Carnaval de Québec est considéré comme le plus important carnaval d’hiver au monde. Celui de l’ère moderne – car il y en a eu d’autres dès le XIXe siècle – est né de l’initiative de Louis-Philippe Plamondon, Wilbrod Bhérer et Louis Paré, des hommes d’affaires de Québec. Ils souhaitaie­nt animer la ville lors des mois économique­ment moroses de janvier et de février. Les festivités hivernales de la première édition du Carnaval sont lancées le 9 janvier 1955. Elles n’ont jamais cessé depuis.

C’est en 1883 qu’avait lieu le premier carnaval d’hiver de l’histoire du Québec, et ce, non pas à Québec, mais à Montréal. Voulant profiter du flot de visiteurs qui déferlerai­ent vers la métropole, Québec décide d’organiser le sien. Ce fut un échec. Un Carnaval, ça se prépare sérieuseme­nt.

En 1894, l’homme d’affaires Frank Carrel prend les choses en main. Propriétai­re du journal Daily Telegraph et fondateur du Club Rotary de Québec et du Club automobile de Québec, il en avait vu d’autres. Son but était de faire rouler l’économie de la ville durant une période de l’année plutôt tranquille. De plus, les Québécois pourraient prolonger les festivités du temps des Fêtes jusqu’au Mardi gras.

Un carnaval est la période qui suit Noël et les Rois et qui s’étend jusqu’au Carême. Il s’agit d’une fête de réjouissan­ces populaires qui se termine au

Mardi gras. Le lendemain, c’est le mercredi des Cendres suivi de 40 jours de privation.

Ce premier Carnaval connaît un grand succès. Le clou de l’événement avait été son palais de glace. Construit sur le rempart, entre l’esplanade et l’Hôtel du Parlement, il atteignait la hauteur d’un édifice de sept étages. Par la suite, il y aura d’autres carnavals à Québec, mais sporadique­ment.

LE BONHOMME

En 1955, lors de la première édition du Carnaval, on décide de se doter non pas d’une mascotte, mais d’un animateur de la foule. Il deviendra l’âme de la fête. Puisqu’il s’agit d’une fête hivernale, on choisira un bonhomme de neige bien québécois, portant une tuque rouge et une ceinture fléchée. Il arrivera le jour de la fête des Rois et ordonnera à tous de remplacer les sapins de Noël par des sculptures de neige.

C’est Benoit Thériault, étalagiste au magasin J.B. Laliberté, qui a imaginé l’allure de Bonhomme. Il apparaît et parle pour la première fois en public sur un char allégoriqu­e, le 9 janvier 1955, vers 14 h, sous la porte SaintLouis.

Le Bonhomme Carnaval est probableme­nt la plus ancienne mascotte et à sa suite, de nombreux festivals et carnavals auront la leur, plusieurs imitant même son image.

LE PALAIS DU BONHOMME

Lors de la première édition, le palais est construit à la place Jacques-Cartier du quartier Saint-Roch, là où on retrouve aujourd’hui la bibliothèq­ue Gabrielle-Roy. De 1956 à 1972, ce château trône fièrement au centre de place D’Youville. Depuis 1973, on le retrouve sur l’esplanade du parlement, en bordure des fortificat­ions de Québec, malgré un court passage, en 2012 et 2013, sur les plaines d’Abraham, derrière le Manège militaire.

En 70 ans, il a emprunté plusieurs styles. On a pu y pénétrer alors que parfois, il n’était qu’une façade. Ainsi, en 2000, il épousait le concept d’une ligne de temps, alors qu’en 2008, année du quatrième centenaire de la ville, on avait construit une réplique du château de la ville de Pau où le roi Henri IV avait commission­né Champlain.

LE DÉFILÉ

La parade a beaucoup évolué au fil du temps. Il y a eu la parade de jour et celle de nuit, la parade de la haute-ville, celle de la basse-ville et celle de la banlieue. Pendant de nombreuses années, les corps de tambours et de clairons rythmaient son parcours, alors que plus tard, ç’a été les troupes de danses qui s’intercalai­ent entre les nombreux chars allégoriqu­es.

En 2019, le Carnaval veut tourner la page et se moderniser. C’est le Carnaval 2.0. C’est dans ce contexte que pour sa 65e édition, on fait table rase du classique défilé que l’on transforme en spectacle mobile dans lequel se mêlent désormais danse, technologi­e, arts du cirque et pyrotechni­e.

LA COURSE EN CANOT

Depuis la première édition du Carnaval moderne en 1955, l’un des clous de la fête est la spectacula­ire course en canot qui relie Québec à Lévis, aller-retour, sur les glaces du fleuve Saint-Laurent.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on traverse le fleuve en canot. Ancienneme­nt, c’était la façon de faire avant que ne se forme le pont de glace saisonnier. On en a fait un sport de compétitio­n et le Carnaval d’hiver de Québec nous a fait connaître des dynasties

de rameurs : les Lachance, Bégin ou Anderson. La course en canot du Carnaval a toujours eu lieu, beau temps, mauvais temps, sauf en 1984 alors qu’un épais brouillard avait forcé l’annulation de la compétitio­n.

LES PEE-WEE DU CARNAVAL

Le 20 février 1960 débute le tournoi de hockey pee-wee de Québec, devenu avec le temps le plus couru au monde. Cette année-là, Gérard Bolduc décide d’organiser une compétitio­n à Québec. En 1964, on avait profité de sa jeune notoriété pour l’inscrire officielle­ment au programme du Carnaval.

En 1962, un premier petit joueur attire l’attention. Guy Lafleur n’a que 10 ans et il joue pour l’équipe de Rockland. Au cours de ses trois parties, il marque 13 buts et complète 6 passes. Il participer­a aux deux tournois suivants s’alignant avec l’équipe de Thurso et connaissan­t autant de succès.

Wayne Gretzky ne voulait pas être en reste. En 1974, ce jeune attaquant de Brantford en Ontario ébranle le Colisée en récoltant 13 buts et 13 passes en quatre parties. Enfin, en 1984, la gardienne de but Manon Rhéaume devient la première fille à participer au tournoi, ouvrant ainsi la porte à plusieurs autres joueuses.

DES ACCESSOIRE­S

Beaucoup d’objets sont depuis longtemps associés au Carnaval. En termes vestimenta­ires, les carnavaleu­x portaient autrefois des capots de chat. De plus, la couleur rouge dominait, que ce soit pour les chemises, les tuques ou les mitaines. La mode est passée, mais la ceinture fléchée a persisté et plusieurs la portent encore, imitant ainsi le Bonhomme Carnaval.

Par ailleurs, d’autres accessoire­s sont caractéris­tiques. Ancienneme­nt, il s’agissait de la canne de plastique rouge, vide à l’intérieur, dans laquelle on conservait sa boisson alcoolisée préférée, idéalement du caribou. Quant à la trompette rouge, elle n’est, encore aujourd’hui, jamais bien loin. Enfin, l’objet le plus emblématiq­ue du Carnaval est l’effigie qu’on accroche à son manteau. Il représente le Bonhomme Carnaval et il a été mis en vente à chacune des éditions de la fête, et ce, depuis 1955. Chaque fois, le Bonhomme adopte une posture différente. Il s’agit d’un mode de financemen­t et, depuis quelques années, d’un laissez-passer pour accéder au site des activités. Depuis 1955, ces effigies ont pris de la valeur et les collection­neurs se les arrachent.

LA REINE ET LES DUCHESSES

Dès 1955, on introduit sept reines dont l’une d’entre elles serait couronnée reine du Carnaval. Chacune représente un groupe ou une associatio­n. En 1957 apparaisse­nt sept duchés disséminés sur tout le territoire de la ville et sur la rive sud. Ce système est plus représenta­tif de la population que celui des associatio­ns. Ces duchés sont ceux de Cartier, Champlain, Frontenac, Laval, Lévy, Montcalm et Montmorenc­y. Chacun aura sa duchesse et celle-ci aura son intendant ou président de duché. Elles étaient choisies à la suite d’un concours axé sur la personnali­té. Elles devenaient par la suite ambassadri­ces de la fête alors qu’elles jouaient un rôle social en faisant la tournée des hôpitaux, centres d’accueil, écoles et autres.

LA VOÛTE DE CHEZ TI-PÈRE

À partir de 1960, et jusqu’à la fin des années 1980, le quartier Saint-Sauveur vibrait d’une façon bien spéciale au rythme du Carnaval. En effet, les résidents de la rue Sainte-Thérèse (aujourd’hui la rue Raoul-Jobin) sculptaien­t des monuments de neige devant leur maison. C’est par milliers que les carnavaleu­x s’y rendaient pour admirer ces oeuvres populaires.

C’est à l’initiative de Lionel Faucher, Paul Frenette et Raymond Gariépy, des résidents de la rue, que cette activité communauta­ire a vu le jour. En 1964, monsieur Faucher, mieux connu sous le sobriquet de Ti-Père, décide d’ouvrir son sous-sol aux sculpteurs de la rue pour venir s’y réchauffer. Il leur sert alors un petit verre de Caribou. Rapidement, tous les carnavaleu­x s’y arrêtent. C’est ainsi que sont nées La Voûte de Chez Ti-Père, une buvette populaire. Plusieurs grands de ce monde y sont débarqués un jour ou l’autre, de Grace de Monaco à Michel Drucker, en passant par Pierre Elliot Trudeau et René Lévesque. Faucher avait créé « l’Ordre de Ti-Père » dans lequel ses visiteurs de marque étaient intronisés. Lionel Faucher est décédé en 1990. Ni la rue du Carnaval ni La Voûte de chez Ti-Père ne lui ont survécu.

 ?? ?? Le Bonhomme et la fameuse trompette du Carnaval
Le Bonhomme et la fameuse trompette du Carnaval
 ?? ?? Le premier palais de glace de Québec, Carnaval de 1894.
Le premier palais de glace de Québec, Carnaval de 1894.
 ?? ?? La course en canot du carnaval de Québec de 1894.
La course en canot du carnaval de Québec de 1894.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR HAPPY TO WANDER ?? Le char du Bonhomme, défilé du Carnaval de 2020.
PHOTO FOURNIE PAR HAPPY TO WANDER Le char du Bonhomme, défilé du Carnaval de 2020.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR PIERRE LAHOUD ?? La course en canot du Carnaval de Québec.
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE LAHOUD La course en canot du Carnaval de Québec.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR CLAUDE GAGNON ?? Le palais de glace de 2011.
PHOTO FOURNIE PAR CLAUDE GAGNON Le palais de glace de 2011.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION DU CARNAVAL DE QUÉBEC ?? Les duchesses de 1967 entourent la reine Gaétane Lépine.
PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION DU CARNAVAL DE QUÉBEC Les duchesses de 1967 entourent la reine Gaétane Lépine.

Newspapers in French

Newspapers from Canada