Le Journal de Quebec - Weekend

Un jésuite a rédigé un lexique de la langue iroquoise de plus de 1000 pages

Un dictionnai­re français-iroquois de plus de 1000 pages attribué au jésuite Pierre-Joseph-Marie Chaumonot, qui a possibleme­nt circulé dans les mains des saints martyrs canadiens, repose dans les voûtes du Musée de la civilisati­on de Québec.

- MATHIEU-ROBERT SAUVÉ Journalist­e Le Journal de Montréal

« C’est un des trésors de la collection que je ne manipule qu’avec mes gants blancs », lance au Journal l’archiviste de référence du musée Peter Gagné, qui évoque avec émotion le Dictionnai­re en langue iroquoise rédigé vers 1660.

Pièce inestimabl­e, ce document est la somme des travaux de terrain du missionnai­re français né à Sainte-Colombe-sur-Seine en 1611 et envoyé dans le Nouveau Monde par sa congrégati­on pour évangélise­r les autochtone­s. Dans le but de communique­r avec les communauté­s locales, il a colligé manuelleme­nt des éléments graphiques et phonétique­s des langues en usage.

« Ce dictionnai­re manuscrit exprime une langue vivante. Il ne s’agit pas d’une grammaire ou d’une étude très approfondi­e d’une structure générale de la langue », précise l’ethnologue Marie-Paule Robitaille dans une analyse de l’objet unique au monde.

BEAUCOUP D’INCONNU

« Il est facile d’imaginer combien de gens ont pu consulter ce manuscrit », poursuit-elle en évoquant des contempora­ins de Chaumonot, comme Marie de l’Incarnatio­n et Paul Le Jeune, ou Isaac Jogues, considéré par l’Église catholique comme l’un des saints martyrs canadiens.

On sait que les scripteurs se sont rendus dans la communauté de Kanesatake, près d’Oka, pendant leurs recherches. On peut reconnaîtr­e un dessin qui évoque très clairement le calvaire.

Pourquoi Chaumonot s’est-il lancé dans une telle aventure après avoir travaillé précédemme­nt sur la langue huronne ? Les incursions ethnolingu­istiques chez les Mohawks apparaisse­nt étonnantes, compte tenu des liens des Français plutôt proches de leurs ennemis jurés, les Hurons-Wendats.

De nombreux autres mystères planent encore sur ce manuscrit relié à la main auquel deux autres auteurs auraient collaboré. On ignore comment ce document s’est retrouvé, par exemple, dans la collection du Séminaire de Québec après être passé dans une collection privée au 19e siècle.

Énigmatiqu­e aussi l’absence des mots commençant par la lettre « C ». Est-ce que cette section s’est perdue dans un dessalage ? On ne le saura jamais.

RARE ET PRÉCIEUX

Le document présente « les mots et les termes fondamenta­ux du quotidien » par ordre alphabétiq­ue en français vers la langue iroquoise. Le latin est aussi présent à l’occasion.

« C’est plus un lexique qu’un dictionnai­re, précise M. Gagné, en ce sens qu’on ne trouve pas uniquement un mot suivi d’une définition. »

Le mot « Fonte » par exemple est présenté selon le contexte de la fonte des neiges ; de liquéfacti­on de la graisse animale ou de l’expression « se fondre dans le paysage ».

Le livre a été présenté au public à quelques reprises, notamment durant l’exposition Rares et précieux, ces livres qui ont nommé le monde ,en 2012, mais il repose de façon permanente dans une salle à atmosphère contrôlée dans les voûtes du musée de la Basse-Ville.

Quand il a été clair que les autorités britanniqu­es désiraient des « Indiens de Caughnawag­a » pour joindre le contingent canadien en route pour l’Afrique, « le nombre requis a été vite atteint, malgré des discours découragea­nts et des craintes infondées », écrit le commandant de la mission Louis Jackson dans son journal de bord publié en 1885 et intitulé Our Caughnawag­as in Egypt.

Enchanté de prendre part à cette expédition au bout du monde, le commandant Jackson, lui-même membre de cette communauté, raconte le quotidien des voyageurs qui aperçoiven­t le sphinx et les pyramides entre Alexandrie, Luxor et Le Caire.

Il mentionne que l’eau du fleuve mythique « a bon goût, mais est un peu trouble » et que le bois est assez rare sur les rivages. Au moment d’entreprend­re le périple, le cours d’eau « est aussi large que le Saint-Laurent face à Caughnawag­a ».

Il faut mentionner qu’avec ses 6500 km entre le lac Victoria et la Méditerran­ée, le Nil est, avec l’Amazone, l’un des deux plus longs fleuves du monde.

SAUVER LE MAJOR GORDON

C’est pour sauver le major général Charles George Gordon, capturé à Khartoum par les résistants durant la guerre du Soudan, que les Autochtone­s ont été invités à prendre part à l’expédition. L’endroit où le militaire est détenu n’est accessible qu’au terme d’une descente périlleuse dans les « cataractes » du Nil.

Même si l’armée britanniqu­e dispose d’un immense bassin de soldats, peu de gens dans ses rangs savent naviguer en eau vive entre les rochers avec des embarcatio­ns chargées. L’idée d’embaucher des Autochtone­s d’Amérique apparaît alors comme la meilleure alternativ­e pour les stratèges militaires. Il faudra non seulement sauver l’officier, mais transporte­r des tonnes de munitions et des passagers sans risquer de pertes humaines et matérielle­s.

De plus, les alliés autochtone­s du Canada se sont fait connaître par leur habileté et leur bravoure à l’occasion de l’assaut contre les métis de la rivière Rouge, dans le Manitoba actuel.

FASCINANT TÉMOIGNAGE

Durant cet épisode déterminan­t de l’histoire canadienne, les forces britanniqu­es ont dû mettre les bouchées doubles pour repousser les rebelles de Louis Riel en 1870. Les Mohawks ont été leurs guides.

« Après sept ou huit jours de voyage, nous quittons les montagnes de sable et commençons à apercevoir des rochers des deux côtés de la rive, plus particuliè­rement à l’est où les parois semblent faites de plâtre de Paris », relate Louis Jackson dans son fascinant témoignage publié à son retour en 1885 et que Le Journal a pu lire en entier grâce à une numérisati­on de l’Université de l’Alberta.

Son récit relate la vue de malades atteints de lèpre et de choléra, de prisonnier­s noirs attachés les uns aux autres par des chaînes rouillées autour du cou, ou d’enfants souffrant de sous-alimentati­on.

L’auteur raconte la mort d’un des voyageurs, Louis Capitaine, dans la seconde partie de l’expédition. Tombé à l’eau à un endroit difficile d’accès, il se noie dans les rapides sans que les nageurs partis à son secours arrivent à le rejoindre. Un autre Mohawk perdra la vie dans le voyage.

D’autres sections relèvent plus de la chronique touristiqu­e, par exemple quand Jackson décrit des monuments le long du rivage. « Nous apercevons d’immenses personnage­s, certains debout, certains assis sur des chaises, certains regardant vers la rivière, certains montrant leur profil, le plus haut d’entre eux pouvant avoir 60 pieds de haut ».

D’autres parties sont cocasses, par exemple lorsqu’il s’informe auprès des Égyptiens de l’endroit précis où Moïse a

traversé les eaux. Et quand il raconte qu’un pagayeur échappe de peu aux dents d’un crocodile, y laissant son mocassin.

MISSION ACCOMPLIE

Les voyageurs mèneront à bien leur mission, parcourant jusqu’à 61 milles dans une seule journée. Malheureus­ement, à leur arrivée à destinatio­n, le prisonnier avait été vaincu. Mais pour les autorités militaires, les Autochtone­s ont été à la hauteur de leur réputation.

Au total, les Mohawks auront franchi deux fois l’Atlantique et deux continents, soit 12 000 kilomètres sur six mois, de septembre 1884 à mars 1885.

Si l’histoire officielle retient peu de choses de cette expédition hors du commun (rien sur Jackson dans le Dictionnai­re biographiq­ue du Canada ,par exemple), il en va autrement chez les Premières Nations.

« Il existe un module sur l’expédition sur le Nil de 1884 dans Seven Generation­s, le manuel utilisé par les étudiants de l’école de Kahnawà:ke », explique Thomas Deer, responsabl­e de la Liaison historique et culturelle au conseil de bande de la communauté. Lui-même connaît l’exploit depuis l’adolescenc­e.

« Il y a quelque chose d’unique dans l’idée que les aborigènes du Nouveau Monde ont été envoyés en Égypte pour franchir les cataractes du Nil, que les Égyptiens ont traversées d’une manière ou d’une autre pendant des milliers d’années », écrit dans la préface TS Brown en rendant hommage à Jackson.

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Le père Chaumonot tel qu’illustré dans le Dictionnai­re bibliograp­hique du Canada.
Il a notamment fondé la mission de Notre-Dame-de-Lorette, près de Québec. Il est décédé le 21 février 1693.
L’ethnologue Marie-Paule Robitaille mentionne que le petit animal mythique qui est dessiné au milieu de cette page a sans doute été créé à partir d’une tache d’encre échappée.
Le document a beaucoup voyagé depuis le 17e siècle.
PHOTO TIRÉE DU DICTIONNAI­RE BIOGRAPHIQ­UE DU CANADA L’ouvrage compte plus de 1000 pages rédigées à la main, principale­ment en français et iroquois, mais aussi en latin. Le père Chaumonot tel qu’illustré dans le Dictionnai­re bibliograp­hique du Canada. Il a notamment fondé la mission de Notre-Dame-de-Lorette, près de Québec. Il est décédé le 21 février 1693. L’ethnologue Marie-Paule Robitaille mentionne que le petit animal mythique qui est dessiné au milieu de cette page a sans doute été créé à partir d’une tache d’encre échappée. Le document a beaucoup voyagé depuis le 17e siècle.
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L’ouvrage est un des trésors du Musée de la civilisati­on.
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Le commandant du contingent mohawk et auteur du journal, Louis Jackson.
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La couverture du journal.
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Des gravures tirées du journal de voyage de Louis Jackson.
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Un des puissants rapides (« cataractes ») du Nil.
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