Le Journal de Quebec - Weekend
Sa momie exposée à Montréal jusqu’en 1970
À la tombée de la nuit, le 12 mai 1885, le village de Batoche en Saskatchewan est envahi par la milice canadienne. Les autorités canadiennes viennent de porter un coup fatal au soulèvement des Métis de l’Ouest.
Parmi les personnages historiques canadiens qui marquent l’imaginaire, difficile de ne pas songer à Édouard Beaupré, mieux connu sous le nom du géant Beaupré.
Il appartient en effet au palmarès très exclusif des hommes les plus grands de l’Histoire, figurant en 5e ou 6e position selon les listes. Il a marqué les mémoires de son vivant en raison de sa taille impressionnante, soit 8 pi 3 po ou 2,52 m, mais aussi en raison de sa physionomie particulière et la saga entourant son corps, tristement devenu un objet de curiosité, ici même à Montréal. Sa notoriété a été telle qu’il est entré dans notre folklore avec la chanson que lui a dédiée le groupe Beau Dommage en 1975.
Édouard Beaupré est né en 1881 en Saskatchewan, au sein d’une des familles fondatrices du village de Willow Bunch, fondé par une communauté métisse vers 1880. Son père était originaire de l’Assomption et sa mère, Florestine Piché, était métisse. Il est l’aîné d’une fratrie de 20 enfants et est le tout premier bébé né et baptisé dans ce qui est l’un des premiers sites habités de cette province canadienne.
Ses héritages familiaux font en sorte qu’il parle rapidement plusieurs langues de sa région natale, dont le français, l’anglais, le cri, le sioux et le métchif, un mélange de cri et de français. Dès l’enfance, il travaille sur les ranchs et aime s’occuper des chevaux. Malheureusement pour lui, il se met à grandir démesurément à partir de l’âge de 6 ans... pour mesurer plus de 1m80 avant même d’entrer dans l’adolescence ! Il a été cowboy un certain temps, mais a dû arrêter, car lorsqu’il s’asseyait sur un cheval, ses pieds touchaient par terre et il commençait à être lourd à porter pour les bêtes.
UN GÉANT BÊTE DE FOIRE
À l’âge de 17 ans, ses photos font sensation, lui qui mesure désormais plus de 2 m et dépasse sa famille de plusieurs têtes. Son visage a aussi quelque chose de particulier, qui attise l’intérêt des foules avides de curiosités et de divertissement, car il est en partie difforme. Cela est attribuable au fait qu’il s’est aussi fait ruer au visage sur un ranch, ce qui lui a brisé plusieurs os du visage et l’a fait souffrir jusqu’à la fin de sa vie. Et ces tristes aléas le conduisent à avoir un fort penchant pour la bouteille...
Pour faire un peu d’argent, il travaille pour différents cirques, qui lui offrent la possibilité de voyager. Il effectue surtout des tours de force, comme soulever un cheval sur ses épaules, ou plier du métal. Il visite la côte est américaine et vient à Montréal pour affronter nul autre que Louis Cyr au parc Sohmer. La compétition entre hommes forts a lieu le 25 mars 1901, et Édouard Beaupré est fatigué avant même le combat, luttant contre ce qui pourrait bien être la tuberculose. La défaite est racontée dans l’édition du lendemain du journal La Patrie, qui précise que Louis Cyr a battu le géant en 3 minutes et 39 secondes...
UN CORPS QUI A VOYAGÉ
Édouard Beaupré meurt d’une hémorragie pulmonaire, alors qu’il est en tournée à l’exposition universelle de Saint-Louis. Il n’est âgé que de 23 ans. Ses parents sont très pauvres et à sa mort, le 3 juillet 1904, ils n’ont pas les moyens de payer les frais de transport pour rapatrier sa dépouille vers la Saskatchewan. Un homme d’affaires originaire lui aussi de Willow Bunch, Pascal Bonneau, transfère le corps à Montréal où il reste 6 mois à l’entrée du Musée Éden. Cette exposition macabre fait sensation et les foules qui affluent pour voir le corps sont considérées comme trop importantes ; les autorités municipales exigent qu’il soit retiré. Que se passe-t-il ensuite ? Personne ne le sait exactement, mais en 1907, des enfants le découvrent dans un hangar du parc Bellerive ! Il est alors transporté au département d’anatomie de l’Université de Montréal, où il est momifié, puis exposé dans une armoire en verre jusqu’à la fin des années 1970.
Sa famille finit par demander à récupérer sa dépouille afin de lui donner une sépulture décente. Le géant Beaupré est incinéré et enfin inhumé dans son village natal en 1990. La légende du géant, elle, est demeurée bien vivante.
Madame Manon Jeannotte, nouvelle lieutenante-gouverneure du Québec, se place à la tête du pouvoir législatif et de l’État québécois, une première dans l’histoire de la province. Elle devra représenter Sa Majesté Charles III, le roi du Canada, au Québec pour les cinq prochaines années.
Cette nomination du premier ministre Justin Trudeau est à mon avis une opportunité pour tous les allochtones du Québec de s’ouvrir à la culture et à la réalité de la Nation mi’kmaq. Petite précision, le nom « micmac » s’écrit maintenant au singulier « mi’kmaq » et au pluriel « mi’kmaw ».
La Nation mi’kmaq occupait la péninsule gaspésienne au moins 3000 ans avant l’arrivée des premiers Européens. Aujourd’hui, les Mi’kmaw habitent principalement le territoire de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. On les retrouve aussi sur l’île de Terre-Neuve, dans le Nord-Est américain et ici, au Québec, dans la péninsule Gaspésienne. La communauté mi’kmaq de Gespeg (d’où vient notre nouvelle gouverneure générale) s’est enracinée dans la baie de Gaspé au début du 16e siècle. Gespeg signifie en langue mi’kmaq « Là où la terre prend fin ».
CULTURE MI’KMAQ
Le mode de vie des Mi’kmaw était intimement relié aux ressources de la nature qui les entourait et le coeur de décisions collectives était centré sur la gestion de la chasse et de la pêche.
L’autorité mi’kmaq était basée sur le prestige des individus et le respect que les membres de la communauté conféraient au leader.
Bien avant l’arrivée des Européens, les Mi’kmaw avaient un gouvernement que nous appellerons le grand Conseil mi’kmaq (Sante’ Mawio’ mi). Sous le régime colonial, chaque nation avait le pouvoir de négocier des traités d’égal à égal avec les émissaires européens.
La langue parlée par les Mi’kmaw fait partie de la famille des langues algonquiennes. Elle possède un alphabet constitué de pictogrammes. Elle est très semblable à celle que parlaient leurs voisins les Malécites et les Pescomodys. Cette langue compte de nombreux dialectes, dont le Restigouche, un dialecte unique au territoire actuel du Québec.
La nordicité du pays des Mi’kmaw ne leur permettait pas de subvenir facilement à leurs besoins alimentaires avec seulement la culture du maïs, des courges et des haricots. Ils dépendaient aussi pour survivre des ressources de la mer et des forêts. Ils habitaient donc durant les saisons plus chaudes sur la côte, d’où ils pouvaient pêcher l’éperlan, le hareng ou le saumon et récolter à marée basse des crustacés et des mollusques. Puis, l’hiver, ils migraient à l’intérieur des terres où ils chassaient le caribou, l’orignal, l’ours et le castor.
Ces gens avaient une relation intime avec la mer, ils étaient d’excellents navigateurs. Ils construisaient de longs canots d’écorce de bouleau avec lesquels ils étaient capables de naviguer sur de longues distances en eau trouble. Leur pays sur le littoral les a évidemment placés aux premières loges quand les pêcheurs de morue, les chasseurs de baleine, les marchands de fourrure ou les explorateurs européens sont arrivés sur les côtes de la Gaspésie. Ils seront, par le fait même, les premières victimes de la contamination microbienne européenne en Amérique du Nord. On estime qu’entre l’an 1500 et 1600 la variole et la rougeole vont décimer entre 50 % et 90 % des Mi’kmaw.
L’IMPORTANCE DES TRAITÉS
Comme si ce n’était pas suffisant, la population mi’kmaq a également été affectée par les conflits entre Européens. Elle sera forcée de prendre position et de participer à la guerre. Les Mi’kmaw y prendront part, la plupart du temps, au côté des Français.
Ce qui est intéressant, c’est que ce positionnement militaire et politique les amènera à signer de nombreux traités de paix entre l’an 1726 et 1761. Ces traités du 18e siècle reconnaissent officiellement les droits pour les Mi’kmaw. Après la chute de la Nouvelle-France en 1760, la Proclamation royale de 1763 établit même des droits aux Autochtones de la Province of Quebec.
Au fil du temps, les nouveaux arrivants d’origine européenne vont ignorer les droits ancestraux de ces premiers peuples. Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada oblige la Couronne, dont Manon Jeannotte est la représentante, à respecter ces fameux droits ancestraux mi’kmaw sur les terres qui sont décrites dans ces traités historiques.
Trois jours plus tard, se sentant abandonné et souffrant du froid, le leader métis Louis Riel se livre aux éclaireurs de la Police montée du Nord-Ouest. Il sera arrêté, emprisonné, enchaîné à un boulet, jugé, puis condamné pour trahison.
L’intransigeance du premier ministre canadien John-A Macdonald face à la cause des Métis et des Premières Nations provoque un soulèvement de colère chez les francophones au pays.
Honoré Mercier est alors un politicien respecté, il se servira habilement de cette tragédie pour rassembler les francophones du Québec.
APPEL DE LA POLITIQUE
Honoré Mercier grandit auprès d’un père admiratif du leader patriote Louis-Joseph Papineau.
Jean-Baptiste Mercier avait même été emprisonné lors de la rébellion des Patriotes pour avoir caché dans la maison familiale deux révolutionnaires et les avoir aidés à s’évader aux États-Unis.
Honoré Mercier est studieux et entreprend des études classiques. Il fait un peu de journalisme, devient avocat et commence sa vie politique dans la jeune trentaine. Il est élu député au Parlement fédéral au moment où l’on vient d’abolir le principe du double mandat. Il est intéressant de se rappeler que depuis le début de la Confédération, les députés pouvaient siéger en même temps comme député à Ottawa et comme député dans une province.
Les débuts de Mercier à la Chambre des communes sont légèrement décevants et il retourne rapidement à la pratique du droit.
Malgré tout, l’appel de la politique est fort et, en 1879, il se fait élire comme député libéral de Saint-Hyacinthe, mais cette fois à l’Assemblée législative du Québec. Quatre ans plus tard, il devient même chef des libéraux au Québec.
UN VENT NATIONALISTE
Le 16 novembre 1885, au petit matin, le héros de la création du Manitoba Louis Riel est pendu. La nouvelle atteint Montréal dans l’avant-midi.
Les gens se précipitent dans les rues, ils sont abasourdis. On sent monter l’indignation chez les francophones, puis un sentiment de deuil collectif.
Certains portent le brassard noir du frère disparu. La mort de Riel sur l’échafaud devient le symbole d’une perception anti-francophone au pays.
Six jours plus tard, 50 000 personnes se donnent rendez-vous sur le Champ-de-Mars de Montréal pour manifester leur peine et leur solidarité. Parmi les orateurs, on retrouve Honoré Mercier.
La coalition francophone dont Mercier rêve depuis longtemps commence à prendre forme.
Il fera un remarquable discours nationaliste dans lequel il invite les Canadiens français à s’unir enfin et explique qu’il est temps que le Québec se tienne debout face à Ottawa.
PARTI NATIONAL AU POUVOIR
Le 29 janvier 1887, Honoré Mercier devient le neuvième premier ministre de l’histoire du Québec.
Il forme un gouvernement constitué de députés du Parti libéral et du Parti conservateur. On sent, pour la première fois depuis les insurrections patriotes, un grand vent nationaliste souffler sur le Québec.
En 1887, le Canada a 20 ans. Pour Mercier, c’est le temps de faire des bilans et son gouvernement en profite pour mettre en lumière l’épineux problème de l’autonomie des provinces dans le système fédéral canadien.
À l’occasion de cet anniversaire, il convie les premiers ministres des six autres provinces canadiennes. Cinq provinces acceptent l’invitation. Elles en profitent pour contester en bloc la gouvernance beaucoup trop centralisatrice du gouvernement fédéral et plus particulièrement l’utilisation abusive du pouvoir de désaveu.
Ce pouvoir-là, le droit de désaveu, permettait au gouvernement canadien d’annuler une loi légalement votée par un gouvernement provincial.
Cette rencontre interprovinciale permet aux premiers ministres de se concerter et d’élaborer une stratégie commune pour répondre à l’ingérence du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces.
À la fin de cette première conférence interprovinciale, le premier ministre de l’Ontario Olivier Mowat souligne la contribution exceptionnelle de Mercier par les mots suivants : « Mercier nous dépasse tous de la tête et des épaules. »
Leur travail portera ses fruits puisque quelques années plus tard, le Conseil privé de Londres confirmera l’égalité des deux ordres de gouvernement et reconnaîtra également la souveraineté des provinces dans leurs champs de compétence.
AVANTAGES SUR LE PLAN SOCIAL
Le gouvernement Mercier pose des gestes concrets pour tenter d’améliorer la vie des Québécois. Il crée des postes de commissaires pour surveiller le respect des heures de travail dans les usines.
Il vote des lois pour améliorer les conditions des femmes et des enfants dans les manufactures. Il encourage la création de bibliothèques et augmente le financement de l’État en éducation. Il permet même l’ouverture d’écoles de soir pour combattre l’analphabétisme chez les ouvriers.
UNE SOLUTION À L’ÉMIGRATION
Depuis le milieu du 19e siècle, chaque semaine, des centaines de famille partent vers les États-Unis.
Pour freiner cette perte démographique, Mercier prend des mesures pour accueillir des immigrants français, suisses et belges au Québec, mais avec bien peu de succès.
Il entreprend aussi le défrichement de nouvelles zones de colonisation dans la vallée de l’Outaouais, au Saguenay, au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et dans les Laurentides.
Il ira même jusqu’à créer un ministère de la Colonisation. Il nomme le populaire curé Labelle de Saint-Jérôme, déjà impliqué dans le défrichement des Laurentides, sousministre au Développement colonial.
Il faut savoir que ce curé-là avait la réputation d’être fort créatif pour attirer des colons dans les pays d’en haut. On raconte qu’au cours d’un hiver particulièrement froid, il serait descendu à Montréal en plein mois de janvier, à la tête d’une caravane de 24 traîneaux chargés de bois de chauffage, pour aider les ouvriers de la grande ville à se chauffer.
Cette généreuse distribution de bois avait aussi pour but de faire la démonstration de la prospérité des colons des Laurentides et mousser les avantages d’un lien permanent entre le Nord et Montréal.
En fait, il souhaitait obtenir de l’argent pour la construction d’un chemin de fer pour relier Montréal aux Laurentides. Tenace et têtu, l’imposant curé (1,80 m, 140 kg) va réussir avec l’appui financier du gouvernement Mercier à financer son chemin de fer.
Cette stratégie de développement économique et démographique par le chemin de fer se déploiera aussi au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et en Outaouais.
Pour financer ces gros projets, Honoré Mercier va même aller en France pour solliciter des emprunts dans des banques européennes. On raconte qu’il aurait profité de son voyage de l’autre côté de l’Atlantique pour visiter une nouvelle attraction de la ville de Paris, la tour de M. Eiffel.
D’ailleurs, lors de cette visite chez nos voisins, il rencontre les ingénieurs de l’entreprise Eiffel et leur parle d’un projet de construction d’un grand pont pour enjamber le fleuve Saint-Laurent, près de Québec.
LE SCANDALE, LE DÉBUT DE LA FIN
Honoré Mercier est réélu à la tête de la province en 1890. L’année suivante, il est même anobli par le pape Léon XIII.
Malgré sa forte popularité et son aura de quasi-héros, il sera associé à un scandale. Il faut dire qu’en cette fin de siècle, les dollars pour construire des kilomètres de chemin de fer pleuvent comme jamais sur le pays. La tentation, chez de nombreux politiciens, de détourner une partie de cet argent est bien grande.
En 1890-1891, plusieurs journalistes et politiciens s’intéressent à un tronçon ferroviaire en Gaspésie qui n’en finit plus de se construire. On enquête pour comprendre pourquoi seulement 100 des 320 km du chemin de fer de la baie des Chaleurs sont complétés.
On en conclut que le gouvernement du Québec s’est servi de ses propres subventions pour probablement financer des dépenses électorales.
Sans preuve, certains accusent publiquement le premier ministre Mercier d’être directement lié à cette histoire.
Quelques jours avant Noël 1891, Honoré Mercier est démis de ses fonctions de premier ministre par le lieutenant-gouverneur du Québec.
Il sera remplacé par CharlesEugène Boucher de Boucherville.
Pourtant, même si le rapport avait conclu que des fonds publics avaient été détournés, aucun lien direct n’avait relié Mercier à ces transactions douteuses.
Il sera par la suite publiquement innocenté de ces accusations, mais les affirmations diffamatoires de ses adversaires auront sali sa réputation.
Il sera quand même réélu comme simple député en 1892. Cependant, son parti ne reprendra jamais le pouvoir.
Il meurt deux ans plus tard.
Il est enterré au cimetière Notre-Damedes-Neiges.