Le Journal de Quebec - Weekend
UN POLAR INSPIRÉ PAR LA MORT DE GEORGE FLOYD
Encore une fois, le romancier américain S. A. Cosby frappe fort, très fort. Car si on a envie d’un vrai bon polar, on peut difficilement trouver mieux que Le sang des innocents.
L’an dernier, l’un de nos plus gros coups de coeur a été un roman noir intitulé La colère. L’histoire se déroule en Virginie, où deux hommes (l’un noir, l’autre blanc) ont été abattus dans la rue peu après leur mariage. Évidemment il y aura une enquête. Sauf que les flics ne parviendront pas à coincer le tueur, et pour changer la donne, les papas des victimes décideront de s’en mêler. Le problème — si c’en est un ! —, c’est que ces papas pourraient en remontrer à bien des truands.
Pourquoi on vous parle de ce « vieux » livre ? Parce que l’auteur, S. A. Cosby, vient d’en signer un autre qui s’intitule cette fois Le sang des innocents (en librairie dès le 21 février). Et qu’il est au moins aussi bon, sinon meilleur.
LES STIGMATES DU PASSÉ
À 50 ans, S. A. Cosby consacre maintenant l’essentiel de son temps à écrire. Quant à ce qu’il faisait auparavant, on vous le donne en mille : il a longtemps été assistant funéraire dans une entreprise de pompes funèbres.
« C’est un travail qui m’a beaucoup apporté, explique-t-il lors de l’entretien téléphonique qu’il nous a accordé fin janvier. Grâce à lui j’ai pu en apprendre pas mal sur les gens et dans l’ensemble, je les comprends mieux, je cerne mieux leurs émotions. Et ça, ça m’aide à créer des personnages plus complexes. »
Titus Crown, le héros du Sang des innocents, en est le parfait exemple. Après avoir bossé une dizaine d’années au sein du FBI, il vient d’être nommé shérif de Charon, un comté perdu au milieu des plaines de Virginie dont le lourd passé sudiste est toujours présent. La preuve, une bande de suprémacistes blancs baptisée les Fils de la Confédération compte bientôt y organiser un défilé pour protéger la statue d’un lointain aïeul esclavagiste.
Être le tout premier Noir du coin à porter l’étoile sera donc pour Titus un sacré défi. Heureusement pour lui, la ville est généralement assez calme. Au cours des 15 dernières années, seulement deux meurtres y ont été perpétrés. Alors même si sa couleur de peau n’est pas bien vue de tous et que les tensions raciales sont presque palpables, il pense pouvoir faire correctement son boulot. En tout cas mieux que son prédécesseur, qui profitait de son insigne pour s’en mettre plein les poches et persécuter librement la communauté noire.
« Le point de départ de ce roman a été George Floyd, cet homme qui a été tué par un flic de Minneapolis en 2020, précise S. A. Cosby. Cette affaire m’a donné l’idée d’écrire sur un officier de police qui serait foncièrement bon. Sauf que l’histoire de cet officier a fini par devenir une histoire dans laquelle le racisme, la guerre civile et la religion allaient occuper une grande place. Vous savez, j’ai grandi en Virginie et j’y vis toujours. Alors pour moi, il était important de parler de ces choses-là, de rappeler ce qui s’est passé. »
SOMBRE ET NOIR
C’est une fusillade au lycée Jefferson Davis qui mettra le feu aux poudres à Charon. Un jeune délinquant noir va en effet y abattre de sang-froid M. Spearman, un professeur de géographie très apprécié des élèves et des habitants de la ville, et la riposte ne se fera pas attendre : dès que ce jeune armé d’une carabine sortira du lycée, deux des adjoints blancs de Titus vont lui tirer dessus. Et le tuer.
Une énième bavure policière ? Peut-être que oui peut-être que non, car Titus ne tardera pas à découvrir des trucs franchement moches sur ce prof de géo qui semblait pourtant si gentil et si dévoué envers ses concitoyens. Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences, surtout lorsque la haine couve partout et qu’elle peut avoir bien des visages.
« Je voulais que Titus soit un personnage fort, ajoute S. A. Cosby. Mais je voulais aussi montrer son côté humain. D’ailleurs, c’est quelque chose que je souhaitais montrer pour tous les personnages. Y compris ceux que je n’aimais pas, parce que même les méchants se considèrent généralement comme de bonnes personnes. Quand on comprend ça, on leur donne forcément plus de profondeur. »
S’inspirant d’une histoire vécue alors qu’il était jeune adulte, Philippe Besson retrace un drame survenu dans l’île de Ré, en France, dans son nouveau roman, Un soir d’été. C’était en juillet, au milieu des années 1980. Une bande de copains profitait des vacances avec insouciance sans se douter qu’un drame allait survenir et mettre fin à leur innocence. Ils allaient perdre l’un des leurs.
À l’été 1985 sur la petite île de Ré, alors davantage fréquentée par la classe populaire, six jeunes deviennent des amis inséparables. Ils se rapprochent. Ils s’amusent sans se soucier du lendemain. Ils vont à la plage, ils vont danser, ils parlent jusqu’au petit jour, ils écoutent les Rita Mitsouko.
Comme tous les jeunes qui passent de l’adolescence à l’âge adulte, ils partagent leurs doutes, leurs appréhensions, leurs projets, leurs sentiments. Ils parlent de leurs élans et de leurs déboires amoureux, vont s’amuser, profitent du soleil et de la mer… sans se douter que l’un d’entre eux mourra avant la fin des vacances.
Philippe Besson, en entrevue, décrit comment cette histoire bouleversante ne l’a pas lâché, malgré les décennies. Il en parle avec beaucoup d’émotion.
« L’écriture de Ceci n’est pas un fait divers m’avait laissé quand même assez exsangue. C’était une écriture douloureuse et j’avais envie de quelque chose de plus intime et de faire appel à ma mémoire », partage-t-il. Il voulait raconter ce souvenir, cet épisode de vie depuis un bout de temps.
« Il est quand même assez fondateur de la suite et c’était la confrontation avec ma première disparition. C’était le premier disparu de ma vie, avant tout ceux qui suivront. Je me suis dit : allez, c’est le moment de le raconter. »
À LA FAÇON DE SAGAN
Philippe Besson avait aussi relu, peu de temps avant, Bonjour tristesse de Françoise Sagan.
« J’avais envie de faire un livre un peu à la façon de Françoise Sagan, c’est-à-dire un livre où il y aurait de la légèreté, de l’insouciance, de l’indolence, du soleil, des bords de mer, comme dans Bonjour tristesse .»
En même temps, le drame couvait et personne ne s’en doutait.
« Comme ça m’est arrivé, c’était assez facile de partir sur ce chemin. Je me suis lancé avec cette idée de raconter les derniers feux de l’adolescence, avec l’épée de Damoclès qui pesait sur nos têtes. »
La mémoire lui est revenue très précisément.
« Je suis très attaché aux détails, donc la mémoire des détails me revient vite. Et l’île de Ré est un territoire que je connais bien parce que j’y retourne tout le temps, et où j’étais allé beaucoup. J’ai parlé d’une géographie intime. C’est ça qui m’a guidé, le désir de revenir vers le récit intime, l’autofiction », raconte-t-il.
LES ANNÉES 80
Il fait remarquer que les années 1980 étaient aussi celles de sa jeunesse, de la fin de son adolescence.
« Il y avait une forme d’insouciance parce que, quand on a
18 ans, surtout l’été, on a à peu près comme seule obsession d’aller à la plage, de boire des bières avec ses copains, d’obéir à son désir balbutiant et, le soir venu, d’aller danser dans les boîtes. C’était ça, nos seules préoccupations. »
« Il y avait aussi l’idée que c’était un moment très protégé : il n’y avait pas internet, il n’y avait pas les réseaux sociaux, il n’y avait pas les chaînes d’info. On n’était pas bousculé par l’actualité qui arrive sur notre téléphone toutes les deux secondes. Le fracas du monde, c’était un peu comme une chose lointaine et amortie. Au fond, ce qui nous importait, c’était d’être ensemble. »
Les deux auteurs de cet ouvrage admettent d’emblée qu’ils ne sont pas des spécialistes de ce pays asiatique accolé à la Malaisie, ils ne l’ont visité que pendant une douzaine de jours et ont publié leurs réflexions et découvertes dans le quotidien Le Devoir, du 26 novembre au 31 décembre 2022. Ils n’ont donc pas la prétention de tout connaître et c’est rassurant.
« Pensez plutôt à ce livre comme à l’incursion rapide de journalistes québécois en terre inconnue, à leur coup d’oeil sur un monde différent », disentils. Ça tombe bien, je n’y connais rien de Singapour, sinon cette boisson alcoolisée destinée d’abord aux femmes, le Singapour Sling.
À partir du 19e siècle, avec le développement du transport maritime, l’île est devenue une route incontournable et a rapidement prospéré. Le trafic maritime a influé sur le trafic aérien, de sorte qu’aujourd’hui, son aéroport figure parmi les plus achalandés au monde. Cette prospérité ne vient pas sans un certain conservatisme et toute forme d’opposition au gouvernement, qualifié de capitaliste autoritaire, est rapidement stigmatisée.
La mondialisation tend à niveler les différences et la diversité culturelle et Singapour n’y échappe pas. C’est ainsi que l’anglais, langue des affaires, a pris de plus en plus de place, y compris dans les écoles, au détriment des autres langues parlées, comme le tamoul, le mandarin et le malais.
UNE CITÉ-ÉTAT
L’île de Singapour est grande comme les villes de Montréal et Laval réunies, mais elle abrite 5,6 millions de personnes. On manque donc de place. Si dans d’autres parties du monde, la mer gagne du terrain sur la terre, ici, c’est le contraire. On remblaie sans cesse de sable le pourtour de son littoral. En fait, disent les auteurs, Singapour n’est qu’une grande ville, une cité-État, où « chaque centimètre carré de l’île, véritable laboratoire de densité urbaine, est mis à profit ».
Près de 90 % du territoire appartient au gouvernement, qui vend des baux emphytéotiques, souvent pour une durée de 99 ans, aux industriels et aux résidents.
On peut imaginer qu’une telle densité de population entraîne son lot de problèmes liés au développement urbain. L’eau en est un et on s’évertue à trouver des solutions durables, avec « un traitement hors du commun » des eaux usées, la désalinisation de l’eau de mer, la rétention de l’eau de pluie, puis l’acheminement d’eau potable de la Malaisie voisine via un tuyau de plusieurs centaines de kilomètres.
LES KAMPONGS
Au milieu de tout ce béton et de tours toujours plus hautes poussent quelques petits villages hippies et anticapitalistes qui résistent, des kampongs, « où des bénévoles s’adonnent au jardinage, au travail du bois, à la cuisine, à l’herboristerie ou au compostage ». Mais ces kampongs sont l’exception qui confirme la règle. Rien ne semble pouvoir arrêter le développement urbain. La population accepte d’être délogée pour faire place à un nouveau projet immobilier, car elle sera relocalisée par le gouvernement qui lui assure la prospérité et une ville « toujours plus belle, toujours plus verte »… où la gomme à mâcher est interdite.
Si la crise du logement existe bel et bien chez nous, à Singapour, 78 % des Singapouriens vivent dans un logement social.
« La quasi-totalité des logements sociaux appartiennent aux ménages qui les habitent. Plus exactement, ces ménages possèdent un bail de 99 ans sur leur appartement. »
Le gouvernement a construit des cités nouvelles où les populations trouvent de tout, sans avoir à se déplacer « en ville » pour y faire leurs achats, y compris en ce qui a trait aux activités sociales et culturelles.
Pour lutter contre la pollution, le gouvernement a imposé des taxes et des droits d’immatriculation extrêmement élevés, limitant ainsi le nombre de voitures sur les routes. Ici, les voitures coûtent le plus cher au monde. En contrepartie, ce pays, qui dit pratiquer une forme de collectivisme, est doté d’un excellent réseau de transport collectif.
Une lecture enrichissante sur un pays surprenant qui pourrait à plusieurs égards servir de modèle pour le Québec.