Le Journal de Quebec - Weekend
L’ode de Wim Wenders à la simplicité
La filmographie de Wim Wenders jalonne nos vies, de Paris, Texas à Les ailes du désir, en passant par son immense Jusqu’au bout du monde. Aujourd’hui, avec Les jours parfaits, le réalisateur allemand revendique, dans un style qui rappelle à dessein le documentaire, le souci du bien commun. Entrevue, en français, avec un cinéaste lumineux.
Tous les matins, Hirayama (le grand acteur japonais Koji Yakusho, récompensé à Cannes par le Prix d’interprétation masculine pour son rôle) se lève, regarde le ciel avec un sourire et se prépare avant de prendre la route vers son travail. Son travail – invisible – consiste à nettoyer les toilettes de Tokyo, magnifiques lieux d’aisance conçus par des architectes primés. Formes, couleurs, inventions technologiques (comme celles aux vitres transparentes devenant brumeuses lorsqu’un usager y entre) font de ces « Tokyo Toilets » de véritables oeuvres d’art, dont Hirayama est le conservateur minutieux.
Au départ, le projet a été proposé à Wim Wenders comme « une série de petits documentaires sur les architectes et ces toilettes publiques absolument fabuleuses. » Mais immédiatement et dès son arrivée à Tokyo, le cinéaste sait que le format proposé n’est pas le bon. « Je me suis dit que je sentais quelque chose de beaucoup plus grand qu’un documentaire sur les architectes et leurs créations. Je sentais qu’il y avait une autre occasion, celle du sens du bien commun que je ressens au Japon de manière très forte. »
« On est tous sortis de la pandémie avec le sens que chez moi, en Europe, la grande victime avait été le bien commun. Deux semaines après la fin du confinement, le petit parc près de chez moi, à Berlin, était détruit, il n’y avait plus rien. Alors qu’à Tokyo, j’ai vu une autre attitude. Les habitants ont repris possession de leur ville, de leurs parcs, de leurs rues, des toilettes. Ils ont fait la fête, mais c’était tellement beau et avec un si grand respect et un soin. Je trouvais ça si attendrissant que je me suis dit qu’il fallait faire un film où l’on voit ces toilettes, mais avec une histoire dans laquelle on sent cet autre modèle de vie. »
UNE OEUVRE OPTIMISTE
Wim Wenders a donc coécrit le scénario avec le « grand poète et écrivain » Takuma Takasaki et a embauché Koji Yakusho : « J’ai demandé le plus grand acteur, je n’étais pas modeste », se souvient-il en riant. « C’est devenu une fiction. Et cette fiction parle d’un homme qui prend soin de ces toilettes, les nettoie. Il en est responsable, il en est le caretaker – je ne connais pas le mot en français –, et c’est devenu une histoire sur la beauté, le bonheur et un autre sens du bien commun que chez nous, en Occident. »
« La simplicité, c’est toujours le plus difficile. Comme Hirayama qui a une vie simple et modeste, on ne peut pas faire un film avec des moyens les plus réduits possibles. On a suivi Koji Yakusho. »
Tourné en 16 jours caméra à l’épaule, comme un documentaire, Les jours
est résolument optimiste – même si l’on voit, au travers du personnage du jeune collègue d’Hirayama et de son amie, certains travers.
« Une grande inspiration pour ce film a été le grand nombre de jeunes que j’ai rencontrés à New York, à Londres, à Paris, juste après la pandémie et avant le tournage de Les jours parfaits. Ce sont des jeunes qui participent à un grand mouvement, bien réel, de réduction. Ils ne veulent plus de toutes ces possessions matérielles et ne souhaitent posséder que ce qui tient dans une valise. Ce sont des jeunes qui fêtent le minimalisme et qui sont très clairs, très optimistes et très sûrs d’eux. Je les ai beaucoup aimés et ils sont devenus mon modèle pour le personnage d’Hirayama. »
« Comment être plus heureux avec moins ? Le problème avec les jeunes Occidentaux, c’est qu’ils ont trop de tout et ils ne sont pas heureux parce qu’ils ont toujours l’impression de rater quelque chose. Et Hirayama ne rate rien. Il ne poursuit que ce qu’il aime et il vit dans le moment. »
Les jours parfaits, en nomination pour l’Oscar du meilleur film international, a pris l’affiche à Montréal hier et sera projeté dans le reste de la province dès le 23 février.