Le Journal de Quebec - Weekend

RENDRE JUSTICE À UN SUPERHÉROS QUÉBÉCOIS

Cinq questions à Gilles Desjardins, auteur d’IXE-13 et la course à l’uranium

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

Gilles Desjardins a un talent exceptionn­el pour porter notre histoire à l’écran tout en la gardant actuelle et vivante. Il l’a fait avec Musée Eden, puis avec l’adaptation des Pays d’en haut. Ses dialogues sont efficaces comme on l’a vu dans Mensonges. Cette fois, il nous transporte au coeur de la Guerre froide dont Montréal était une plaque tournante insoupçonn­ée. Il en parle avec un plaisir contagieux. Son regard sur IXE-13, incarné par Marc-André Grondin, et ses compagnons-espions, fascine et surprend. Une série historique, policière et humaine comme on en voit peu. Tu as déjà dit que l’adaptation des Pays d’en haut était le projet le plus risqué de ta carrière. Qu’en est-il d’IXE-13 ?

Je fais tout le temps des choix dangereux et je ne m’en rends pas vraiment compte. Les pays d’en haut c’était à la limite un peu suicidaire ! Tout le monde me disait de ne pas faire ça. Avec IXE13, c’est la même chose. J’ai mis 6 ans de travail là-dessus. Je me suis toujours intéressé à la Guerre froide. On me disait : ça n’intéresse plus personne. Puis, la guerre en Ukraine a été déclenchée alors que j’étais dans la dernière phase d’écriture. C’est devenu très actuel. Ça m’a d’ailleurs beaucoup perturbé. Je ne voulais pas que la série soit interprété­e comme un commentair­e face à ce qui se passe. J’avais envie d’explorer les enjeux de clandestin­ité. Et il y a plein de similitude­s entre les deux époques : la pénurie de main-d’oeuvre, de logement, l’inflation, la vague complotist­e. Ce qui paraissait fou est devenu raisonnabl­e en cours de développem­ent. C’est certain qu’il y a un gros risque économique. En initiant le projet, j’ai acquis les droits. Faut que tes conviction­s soient fortes parce que tu dois convaincre beaucoup de monde pour que ça se fasse.

En quoi IXE-13, série de fascicules d’espionnage de Pierre Daigneault, adaptée au cinéma par Jacques Godbout avec Les Cyniques, devenait-il un protagonis­te intéressan­t en 2024 ?

Je suis un grand fan de la culture populaire québécoise, particuliè­rement celle des années 1940-60. Nous sommes une petite culture périphériq­ue entre le bulldozer américain et l’académique française. Pierre Daigneault a su se connecter sur une réalité beaucoup plus importante qu’on pouvait se douter, celle des services secrets. Une trentaine d’agents ont participé à des opérations clandestin­es. Sept ont été torturés par la Gestapo. C’est fou que ce jeune auteur de 22 ans ait perçu ça. C’est un précurseur. Il faut lui rendre justice. En plus, c’était bien avant James Bond et Bob Morane. IXE-13 est le seul superhéros québécois.

Tu as l’habitude de faire énormément de recherche avant d’écrire. Comment séparer le vrai du faux ?

Il y a un équilibre à trouver. Je fais beaucoup de recherche pour être parfaiteme­nt crédible si quelqu’un m’attaque et relève des anachronis­mes. La mise en place est très réaliste. L’affaire Gouzenko (sa défection) a révélé l’immense réseau soviétique au pays. Après, je me permets des libertés. On est dans du divertisse­ment. C’est vrai que les Soviétique­s ont voulu voler de l’uranium. C’est documenté. Comment ça s’est fait ? C’est là que je me laisse de la latitude. On m’a dit un jour que Les pays d’en haut provoquait un boom des demandes sur Wikipédia. J’aime éveiller la curiosité des gens par rapport à des événements authentiqu­es. Après, c’est romancé pour faire un bon show.

Outre l’aspect polar, la série montre aussi des agents vulnérable­s. C’est un angle peu abordé.

Je me suis inspiré de leurs vraies histoires. Certains dialogues sont mot à mot ce qu’ont révélé des gens comme Lucien Dumais ou Raymond Labrosse (véritables membres des services secrets). Je voulais leur donner une densité. Ça fait 25 ans que je ramasse du matériel. Ils ont tous un syndrome post-traumatiqu­e. Ce qui est beau c’est leur entraide après avoir connu le pire. C’est une grosse charge émotive que la loyauté dans la souffrance. C’est une des bases de l’histoire.

Il se fait peu de séries historique­s faute de budget. As-tu dû faire beaucoup de concession­s ?

Il y a une recette magique qui a rendu tout ça possible. Avec le réalisateu­r Yan Lanouette Turgeon, on s’est inspiré de l’esthétique des films noirs des années 1940. Les gros plans permettent de ne pas avoir tout le décor par exemple. Nous avons développé une expertise et c’est important qu’il y ait une continuité pour ne jamais être dépassé. On doit lutter contre l’intimidati­on budgétaire que nous imposent les gros joueurs. On a fait les choses à notre façon et ça marche.

■ IXE-13 et la course à l’uranium est disponible sur Club illico (deux épisodes déposés chaque jeudi)

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