Le Journal de Quebec - Weekend

QUAND UNE ROMANCIÈRE À SUCCÈS EST ACCUSÉE DE MEURTRE

Les yeux de Mona, de l’écrivain français Thomas Schlesser, rencontre un succès phénoménal. On vous en dit un peu plus sur ce roman-phénomène.

- MARIE-FRANCE BORNAIS Journal de Québec

Cinéaste, scénariste et romancier exceptionn­el, René Manzor plonge ses lecteurs dans un thriller très dur, rempli de rebondisse­ments et de revirement­s imprévisib­les, allant des hauts plateaux du Vercors jusqu’au fin fond de la jungle en Colombie. L’ombre des innocents, son nouveau roman, met en scène une romancière à succès accusée de meurtre. Son ADN est retrouvé sur l’arme du crime… et elle n’a pas d’autre choix que de s’enfuir pour trouver le vrai coupable et se disculper.

Cette histoire aux strates multiples débute à Paris dans les bureaux d’un éditeur. Au moment où la célèbre romancière Marion Scriba décrit son prochain polar, la police surgit et procède à son arrestatio­n. La mère de famille est accusée d’un meurtre fortement médiatisé et on a retrouvé son ADN sur l’arme du crime.

Placée en garde à vue, Marion Scriba clame son innocence. Mais qui peut contester une preuve avec de l’ADN ? Marion ne voit qu’une solution : s’échapper, trouver le coupable et prouver sa propre innocence à elle.

Un agent d’Europol qui a pris sa retraite plusieurs années auparavant, Wim Haag, est rappelé pour participer à l’enquête. Il trouve qu’il y a quelque chose qui cloche : cette femme à la vie bien rangée, qui écrit des histoires, a beaucoup d’instinct dans sa fuite…

L’ADN, LA REINE DES PREUVES

René Manzor a écrit un suspense super bien ficelé et très documenté.

« L’élément déclencheu­r pour l’écriture du roman, ç’a été l’affaire D’Outreau, une erreur judiciaire monumental­e où on a accusé toute une série de personnes d’actes pédophiles. En fait, tout ça était faux. J’ai eu le sentiment de m’être fait embarquer, d’avoir cru à la culpabilit­é des gens », explique-t-il en entrevue.

« Je me suis dit : si aujourd’hui un truc comme ça arrivait, qu’est-ce qui pourrait jeter quelqu’un au centre de toutes les haines ? C’est l’ADN. Parce que l’ADN, c’est la reine des preuves. Aujourd’hui, on condamne avec l’ADN. C’est une preuve plus forte pour un jury, à la limite, qu’un témoignage ou un alibi. »

René Manzor s’est mis à étudier en quoi l’ADN était la reine des preuves.

« En étudiant avec des spécialist­es, je me suis aperçu que ce n’est pas une empreinte génétique qu’on faisait : c’est un profil. Et donc, quelque part, pour établir ce profil, on se basait sur l’expertise de 13 marqueurs. L’ADN est formidable pour disculper quelqu’un, parce qu’il suffit qu’un des 13 marqueurs ne soit pas le bon. Mais deux individus différents peuvent présenter les 13 marqueurs identiques. »

En fouillant davantage, René Manzor a découvert que les études ont démontré que le pourcentag­e d’erreur était de 1 %.

« Donc une personne sur cent pourrait être accusée, bien qu’innocente. Je me suis dit : attends… si un avion sur 100 s’écrasait, tu prendrais l’avion ? »

ON VEUT UNE COUPABLE…

Il a décidé de mettre en place une intrigue où une mère de famille, qui a trois enfants, va être accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis.

« Il y a une telle pression médiatique et presque politique pour trouver la coupable qu’on va presque trop vite. On veut quelqu’un. On veut une coupable. Le propre avocat de l’héroïne va lui conseiller de plaider coupable parce que la reine des preuves a parlé. »

Marion Scriba n’aura plus qu’une solution : s’évader. « Et d’un coup, il y a une traque qui commence. Une double traque : elle cherche le vrai coupable, et en même temps, elle est traquée par cet agent d’Europol rappelé sur cette enquête. Ce qui va être intéressan­t, c’est de voir comment cette femme, qui est romancière, va se servir de son imaginatio­n, finalement, pour essayer d’échapper à celui qui la poursuit. »

Écrivain d’exception, Robert Lalonde partage dans son nouveau livre ses souvenirs d’enfance, une période de sa vie qui occupe une grande importance dans son oeuvre. Par fines touches, dans On est de son enfance, il ouvre le grand livre de ses souvenirs et se rappelle les moments importants qui ont forgé sa personnali­té. Il montre aussi toutes les beautés de la nature et invite ses lecteurs à être attentifs à ce qu’elle a de plus beau à leur offrir. Parce que ça fait du bien.

Les carnets de Robert Lalonde sont toujours évocateurs, toujours pertinents. Et cette fois, ils parlent beaucoup de l’enfance.

« C’est comme si, rendu à mon grand âge, je retrouvais beaucoup l’enfance. C’est curieux : c’est quelque chose qu’on ne prévoit pas », commente-t-il en entrevue. « Je reviens beaucoup à la nature, à mes sens, à l’espèce de liberté, de vagabondag­e et d’innocence que l’enfance peut permettre. Alors j’ai voulu témoigner de cela un peu, en rapprochan­t mon présent de mon enfance. »

DES SOUVENIRS PRÉGNANTS

Robert Lalonde a le sentiment que l’homme qu’il est aujourd’hui est toujours fidèle au jeune Robert, qui a grandi à Oka.

« J’ai gardé ça. Quand on a été en grande partie initié à la nature, surtout par la communauté mohawk de mon enfance – une partie de ma famille –, s’établit un peu cette espèce de rapport avec la nature, comme étant un endroit où on entre en soi-même. »

« Pour moi, ce n’est pas tellement une question de découverte ou d’exploratio­n : c’est une question de retrouver une présence au monde qui ne dépende pas de tout ce qui nous entoure quotidienn­ement. »

L’écrivain fait référence à l’omniprésen­ce des écrans, des réseaux sociaux.

« On peut toujours ben quitter les réseaux sociaux un bon deux heures dans une journée et puis s’en trouver mieux ! Je te parle en revenant d’une promenade qui m’a complèteme­nt enlevé tous les soucis que j’avais depuis le matin avec toutes sortes d’affaires », ajoute-t-il.

« Ma vie intense comme comédien à Montréal, et tout, m’en privait des fois. Mais là, je n’ai plus aucune raison de ne pas y aller. »

Robert Lalonde a été étonné, en commençant ce livre, de voir comment toutes les scènes de son enfance lui revenaient.

« Comment j’étais, comment même j’ai eu du plaisir à fuguer... Toutes les sensations qu’on vit, enfant, quand on est dans un village où tout le monde est les uns sur les autres, où il y a beaucoup de jasage, de mensonges, de calomnies et d’affaires comme ça. Tout ce que je fuyais, je continue de le fuir. Je continue de m’éloigner de ça le plus possible. »

LÂCHER LES ÉCRANS

Robert Lalonde voulait donner le désir aux gens qui vont le lire d’aller se ressourcer ailleurs que sur les réseaux sociaux.

« Il y a bien des gens qui décrochent de plus en plus, qui en ont assez de tout ça, qui se désabonnen­t de toutes sortes d’affaires parce qu’ils considèren­t qu’ils ne vivent plus. Ils sont tout le temps à la remorque d’opinions et de situations à gauche et à droite. »

« Je dis toujours qu’à force de blâmer – avec raison, par ailleurs – le tourment qu’on fait à la Terre en ce moment, il y a une partie de nous qui oublie totalement d’entrer en communicat­ion avec cette nature-là. C’est comme si cette belle nature-là, on ne la célébrait plus que virtuellem­ent, sur les écrans. »

Robert Lalonde observe que les sens sont vite trompés.

« Les gens ont peur de s’aventurer dans la forêt parce que ça se peut qu’ils rencontren­t des bêtes. Ils sont angoissés dans la nature alors qu’ils sont parfaiteme­nt rassurés devant les écrans… Ça devrait être le contraire ! »

En librairie le 5 mars.

■ Robert Lalonde est né en 1947 à Oka.

■ Acteur et écrivain, il s’est imposé au premier rang de la littératur­e québécoise contempora­ine.

■ Il a écrit des romans, des nouvelles, des carnets.

■ On lui doit C’est le coeur qui meurt en dernier, La liberté des savanes et Fais ta guerre, fais ta joie.

■ Il a reçu le prix Athanase-David en 2023 pour l’ensemble de son oeuvre, la plus haute distinctio­n attribuée par le gouverneme­nt du Québec à une personne pour sa contributi­on remarquabl­e à la littératur­e québécoise.

De temps à autre, il arrive qu’un roman sorte du lot et se transforme d’un coup en véritable bestseller internatio­nal. Quelques exemples ? Cent ans de solitude, Le monde de Sophie, la série des Harry Potter ou Da Vinci Code. Et si ça continue comme ça, on pourra aussi bientôt mentionner Les yeux de Mona ,le premier roman du Français Thomas Schlesser : avant même d’être publié en français, il était déjà traduit dans plus d’une vingtaine de pays ! Un engouement qui a d’ailleurs totalement pris de court l’auteur. « C’était très, très inattendu, confirme Thomas Schlesser, qui est aussi directeur de la Fondation Hartung-Bergman, à Antibes. Je ne m’attendais pas à ce que ce roman plaise. En revanche, mon éditeur y a cru tout de suite. Il affirmait que c’était un livre fondamenta­l, un livre qui allait répondre à une attente de l’époque. »

De fait, rares sont les romans qui se penchent sur le lien entre grands-parents et petits-enfants.

« J’ai donc l’impression que Les yeux de Mona vient combler une sorte de vide », ajoute Thomas Schlesser.

Mais il y a plus. Sans que ce soit ni fastidieux ni didactique, il nous invite à découvrir, en compagnie de la petite Mona, 52 créations artistique­s de la Renaissanc­e à nos jours. Et là, on se régale.

DE GRANDS CHEFS-D’OEUVRE EXPLIQUÉS

Cette petite Mona a 10 ans et dès la première page, elle va vivre un événement assez traumatisa­nt : autour d’elle, tout deviendra noir d’un coup. Durant plus d’une heure, elle ne verra absolument plus rien. Les médecins consultés ne parvenant pas à déterminer l’origine de cette crise de cécité, une ombre va ainsi planer : à plus ou moins brève échéance, Mona pourrait bien perdre définitive­ment la vue. C’est là que va entrer en scène Henry Vuillemin, le grand-père adoré de Mona. Amateur d’art passionné, il décidera de montrer à sa petite-fille « ce que le monde a produit de plus profond et de plus beau ». Comme ça, si elle devait réellement devenir aveugle, au moins aura-t-elle vu l’essentiel. Pendant 52 semaines, Mona ira ainsi au musée tous les mercredis après-midi avec son Dadé. Des visites au cours desquelles elle contempler­a chaque fois une oeuvre différente pour ensuite écouter tout ce que son grand-père a à dire à son sujet, qu’elle soit signée Botticelli, Rembrandt, Watteau, Goya, Manet, Mondrian, Pollock ou Basquiat.

« L’élément déclencheu­r de cette histoire a été un événement douloureux de ma vie, le non-avènement d’un enfant », explique Thomas Schlesser.

« Dans la foulée de cette épreuve un peu pénible, j’ai ressenti le besoin de m’inventer une sorte de petite fille idéale, et cette petite fille idéale, c’est Mona. Elle est drôle, sympathiqu­e, très humble, curieuse et espiègle, et elle a aussi plein de fragilités. Bref, c’est un peu l’enfant que j’aurais voulu avoir. »

« Maintenant, l’idée qu’elle serait menacée de devenir aveugle et que son grand-père l’amènerait dans les musées pour lui faire découvrir la beauté du monde et l’ancrer dans sa mémoire, ça a surgi d’un coup. Ce n’est pas quelque chose que j’ai élaboré petit à petit. »

« Ce que j’ai en revanche élaboré pendant 10 ans, ça a été les différents arcs scénaristi­ques qui composent le livre. Ça a été très long, parce que ça tressait ensemble plusieurs histoires avec une histoire de l’art. »

LEÇONS DE VIE

Au fil des semaines, Mona recevra ainsi de son Dadé plein de leçons portant sur l’histoire de l’art. Mais pas que.

« Il va en effet lui montrer qu’en chaque oeuvre il y a ce que j’appelle un précipité moral, une leçon existentie­lle, précise Thomas Schlesser. Quand on fait très attention, on s’aperçoit que chacune de ces leçons, Mona va l’appliquer de manière plus ou moins directe dans le début du chapitre qui succède. Exemple : devant La Joconde , la leçon est “souris à la vie”. Dans le chapitre qui suit, il y aura un moment de tension entre Mona et son père, et pour débloquer la situation, Mona se dira : “Je vais sourire”. »

« Dans tous les chapitres, il y a donc une sorte de ressaisie de ces leçons qui fait avancer le récit, conclut Thomas Schlesser. Et ce que j’ai voulu, c’est faire la démonstrat­ion que, à la fois dans les petits faits du quotidien comme dans les grands enjeux de la vie, l’art est au service de notre existence. »

 ?? ?? L’OMBRE DES INNOCENTS René Manzor Éditions Calmann Levy Environ 362 pages
■ René Manzor est romancier, réalisateu­r et scénariste.
■ Il s’est imposé comme une des références du thriller français.
■ Ses romans ont été récompensé­s de nombreux prix.
■ On lui doit Celui dont le nom n’est plus, Apocryphe, À Vif (Grand Prix Iris Noir Bruxelles 2021 et Prix de l’Embouchure 2022), et Du fond des âges.
■ Il a de la famille au Québec.
L’OMBRE DES INNOCENTS René Manzor Éditions Calmann Levy Environ 362 pages ■ René Manzor est romancier, réalisateu­r et scénariste. ■ Il s’est imposé comme une des références du thriller français. ■ Ses romans ont été récompensé­s de nombreux prix. ■ On lui doit Celui dont le nom n’est plus, Apocryphe, À Vif (Grand Prix Iris Noir Bruxelles 2021 et Prix de l’Embouchure 2022), et Du fond des âges. ■ Il a de la famille au Québec.
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 ?? PHOTO FOURNIE PAR ROBERTO FRANKENBER­GÈNAL ?? LES YEUX DE MONA Thomas Schlesser Éditions Albin Michel 496 pages
PHOTO FOURNIE PAR ROBERTO FRANKENBER­GÈNAL LES YEUX DE MONA Thomas Schlesser Éditions Albin Michel 496 pages
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