Le Journal de Quebec - Weekend

DANY LAFERRIÈRE FÊTE SES 50 ANS D’ÉCRITURE

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Écrivain extraordin­aire, homme de tête et homme de coeur, Dany Laferrière fête cette année ses 50 ans d’écriture. Il s’accorde une formidable liberté créative et la partage avec ses lecteurs dans son nouvel opus, Un certain art de vivre. Le livre, composé de récits brefs, de réflexions, de haïkus, se savoure comme un cocktail ensoleillé, tonique, joyeux. On le lit et on le relit, en y découvrant toujours un petit quelque chose de plus, une subtilité, un trait d’humour, un brin de nostalgie, une vie derrière les mots. Une écriture incandesce­nte, riche de poésie, de savoir et d’expérience, à savourer pleinement.

En entrevue par courriel peu avant de rentrer au Québec pour quelques jours, Dany Laferrière explique ce qu’il avait envie de partager avec ce nouveau projet.

« Cela fait un moment que je ne cherche plus qu’à faire converser mes livres entre eux. S’ils donnent l’impression d’être clairs, sobres, dépouillés même, en réalité grouillent sous la surface lisse des phrases des vies minuscules rythmées par une musique intime.

« Il n’y a pas de nouveau projet, c’est une succession de vagues qui viennent mourir sur la page. De plus en plus, l’écriture mange la part du récit, d’où ce goût du haïku, cette forme brève qui m’est venue par le saké. »

Cette fois, il n’y a pas d’illustrati­ons, pas de dessins, pas d’écriture manuscrite. Pourquoi donc ?

« C’est étrange car quand j’ai commencé à faire des livres où les couleurs se mêlaient au texte, on s’étonnait de cette nouvelle manière d’écrire. Et certains me le reprochaie­nt tout en souhaitant un retour à la première forme. Aujourd’hui on s’étonne de ne pas voir de dessins dans mes derniers livres. Cela me conforte dans l’idée que l’écrivain ne doit pas toujours écouter ce que dit la rumeur. »

LA PLUS GRANDE LIBERTÉ

Dany Laferrière confirme qu’il s’est accordé la plus grande liberté créative.

« Je nage, il est vrai, avec une plus grande liberté dans cette mer d’encre, au fur et à mesure que je m’éloigne de la plage. Je ne sens plus la page sous mon ventre », répond-il.

« Léger que je suis comme une bulle d’air. Tout cela est dû au temps qui m’enveloppe depuis que je ne compte plus les années. Il arrive toujours ce moment où le temps s’efface pour céder la place au désir. Ainsi je retrouve le jeu libre de l’enfance. »

UN HOMME SAGE

En lisant son texte, on découvre beaucoup d’authentici­té, de la rêverie, de la nostalgie, de l’humour aussi. Dany Laferrière est un sage. Mais est-il sage ou moins sage avec les années ?

« Aussi sage, j’espère, qu’un enfant qui ignore toute contrainte, jusqu’à celle du sommeil. La vie devient un long ruban sans fin qui ne connaît ni jour ni nuit. Et l’endroit où l’on se trouve a de moins en moins d’importance. On habite notre sensibilit­é qui varie au moindre souffle du vent. Tout ce qui reste, ce sont nos émotions, nos sensations et nos sentiments. Je brise toutes les frontières, surtout celles qu’on dresse devant moi, soi-disant pour me protéger. »

50 ANNÉES D’ÉCRITURE

Cette année, l’Académicie­n fête ses cinquante années d’écriture, en comptant les années passées dans la presse haïtienne. La littératur­e lui a apporté beaucoup.

« J’ai toujours vécu avec des livres, et dès que j’ai su reconnaîtr­e les lettres magiques de l’alphabet, je les ai ouverts pour passer de l’autre côté. Et mon émerveille­ment était sans fin. »

Au cours de toutes ces années, il a été inspiré par « le goût de traverser le miroir comme l’enfant qui enjambe la fenêtre en emportant avec lui l’alphabet ».

« Et plus tard, la joie de quitter ce monde à tout bout de champ par la magie de l’écriture, puis de revenir, dégoulinan­t d’encre et de sueur, pour être accueilli par mes amis. Il y a eu cette époque lointaine où je lisais et écrivais afin de rencontrer des gens. »

DES PROJETS ?

Des projets pour les prochaines semaines ?

« Je n’ai pas de projet. Je ne vis que pour attraper l’instant. C’est une chasse aussi éprouvante que celle de la baleine blanche de Melville, l’ami de Victor Lévy-Beaulieu. »

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PHOTOS FOURNIES PAR ÉDITIONS BORÉAL, JEAN-FRANÇOIS PAGA

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