Le Journal de Quebec - Weekend

C’était il y a 50 ans Le saccage de la Baie-James

- MARTIN LAVALLÉE Collaborat­ion spéciale

Le 21 mars 1974, un agent d’affaires de la FTQ, un certain Yvon Duhamel, est aux commandes d’un Caterpilla­r D-9 sur le chantier du barrage hydroélect­rique LG-2, à la Baie-James. Enragé, celui qui est représenta­nt de l’Union internatio­nale des opérateurs de machinerie­s lourdes fonce avec son bulldozer sur trois génératric­es valant 250 000 $ chacune.

Il défonce également des réservoirs à essence et cause un important incendie, forçant l’évacuation du chantier.

Duhamel venait de commettre « le saccage de la Baie-James ».

UNE ÉPOQUE DE GRANDS PROJETS

Les années 1960-1970 sont des années de grands projets économique­s au Québec. Les Canadiens français s’approprien­t l’État québécois et sentent le besoin de prouver au monde et à eux-mêmes qu’ils possèdent un savoir-faire technique leur permettant eux aussi de réaliser des projets de grande envergure.

Dans la foulée, le gouverneme­nt du Québec, grâce aux prêts consentis par la haute finance, procède à d’importants investisse­ments pour stimuler la croissance économique et permettre aux Québécois d’atteindre un niveau de vie matériel conforme aux standards du progrès et de la modernité de l’époque.

Si la décennie 1960 est surtout marquée par la constructi­on d’infrastruc­tures publiques, comme les autoroutes 20 et métropolit­aine, le pont-tunnel Louis-H La Fontaine, le métro de Montréal et la tenue de l’Expo 67, la décennie 1970 est marquée par la constructi­on de polyvalent­es, de cégeps et d’université­s, mais surtout par l’imposant chantier olympique à Montréal et la mise en chantier du complexe hydroélect­rique La Grande, à la Baie-James.

Ce dernier chantier est alors présenté comme « le projet du siècle » !

UNE INDUSTRIE À PART

Ces différents travaux font de l’industrie de la constructi­on une industrie prospère qui emploie de nombreux salariés, pour lesquels les deux principaux syndicats de l’époque, la FTQ et la CSN, se disputent l’adhésion et les cotisation­s.

Plusieurs conflits intersyndi­caux ont lieu sur les chantiers dans les années 1960, ce qui oblige le ministre du Travail de l’Union nationale, Maurice Bellemare, à déposer en 1968 le bill 290.

Ce bill, aujourd’hui appelé loi R-20, encadre les relations de travail dans l’industrie de la constructi­on et reconnaît la spécificit­é de cette industrie, où désormais le Code du travail ne s’applique plus.

Comme le souligne l’auteur Louis Delagrave dans son Histoire des relations du travail dans la constructi­on au Québec (P.U.L., 2009), la nouvelle « loi consacre officielle­ment le duopole syndical » et la liberté pour les travailleu­rs d’appartenir au syndicat de leur choix,

« espérant que cessent les persistant­es luttes entre la CSN et la FTQ ».

Malgré la nouvelle loi, les rivalités intersyndi­cales perdurent et atteignent leur paroxysme sur le chantier du barrage LG-2, lors du « saccage de la Baie-James ».

Le Conseil provincial du Québec des métiers de la constructi­on (CPQMC), représenté par la FTQ à l’époque et dirigé par le membre du local 144 André « Dédé » Desjardins, instaure un climat de peur sur le chantier et veut le monopole syndical. C’est en ce sens que, le 21 mars 1974, l’agent d’affaires Yvon Duhamel et d’autres agents provocateu­rs saccagent le chantier LG-2.

Les dommages sont évalués à plus de 30 millions de dollars, une somme énorme pour l’époque, et le chantier restera fermé pendant 51 jours.

Duhamel écopera d’une peine de 10 ans de prison pour ses méfaits.

LA COMMISSION CLICHE

Six jours après le saccage, le 27 mars, le gouverneme­nt de Robert Bourassa doit réagir et crée la Commission d’enquête sur l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la constructi­on, qui débute ses travaux dès le mois de mai. Le juge Robert Cliche est nommé président, assisté des commissair­es Brian Mulroney et Guy

Chevrette. Lucien Bouchard est quant à lui nommé procureur en chef.

Au fil des mois, la commission parvient à éclairer les causes de la rivalité intersyndi­cale et les liens importants entre certains syndicats affiliés à la FTQ et le crime organisé.

« Dédé » Desjardins est mis sur la sellette et démissionn­e de son poste en novembre 1974.

Une importante révision dans l’industrie de la constructi­on s’ensuit : des syndicats sont mis sous tutelle et le gouverneme­nt adopte plusieurs lois qui viennent encadrer davantage ce secteur particulie­r du monde du travail.

Dans la constructi­on, le « saccage de la Baie-James » aura d’importante­s répercussi­ons pour les années qui suivent...

 ?? ?? Surnommé le « projet du siècle », le barrage La Grande-2 (LG-2) fait partie du complexe hydroélect­rique du même nom et est inauguré en 1979.
Surnommé le « projet du siècle », le barrage La Grande-2 (LG-2) fait partie du complexe hydroélect­rique du même nom et est inauguré en 1979.
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Travailleu­r de la constructi­on à la Baie-James.
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PHOTOFOURN­IEPARBANQN­UMÉRIQUE La Commission Cliche, dirigée par Robert Cliche.
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Robert Cliche

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