Le Journal de Quebec - Weekend

ILYA73ANS avait lieu l’effondreme­nt du pont Duplessis

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Dans la nuit du 31 janvier 1951, Benoit Lefebvre, un jeune chauffeur de taxi de Trois-Rivières, s’engage sur le pont Duplessis avec deux clients à bord de son véhicule. Il est 3 h du matin, la ville de TroisRiviè­res est endormie, tout est calme. Soudain, le chauffeur de taxi ressent une vibration anormale, il a l’impression qu’il a fait une crevaison. Puis, il sent que sa voiture tombe dans le vide.

C’est le black-out. Lorsqu’il rouvre les yeux, Lefebvre ne comprend pas trop ce qui vient de se passer. Son véhicule est sous une partie de la structure effondrée du pont, au niveau de la rivière.

Lefebvre et ses passagers constatent qu’un pan complet du pont tient encore debout et que d’autres automobili­stes qui roulent sur la structure sont propulsés dans les eaux glaciales du Saint-Maurice. La scène est horrible. Tout près d’eux, une voiture est enfoncée à moitié dans la glace et ses phares allumés pointent vers le ciel.

Les premiers policiers arrivent sur les lieux une quinzaine de minutes après l’effondreme­nt, puis des secouriste­s armés de scies à chaîne tentent d’extirper le plus de victimes possible des eaux glaciales du lac.

Au bilan, une dizaine d’automobili­stes seront blessés et quatre autres trouveront la mort cette nuit-là, sur le pont Duplessis.

LE PONT DUPLESSIS

Lors de l’inaugurati­on du pont, le 6 juin 1948, Maurice Duplessis avait déclaré aux journalist­es et aux dignitaire­s présents que « Ce pont [était] aussi solide que l’Union nationale ».

Malheureus­ement pour le premier ministre du Québec, le pont dont la constructi­on avait coûté la rondelette somme de trois millions de dollars a rapidement révélé des indices de faiblesses. Sa structure préoccupai­t les ingénieurs, il semblait y avoir quelques enjeux techniques avec l’acier ou le béton. L’hiver avant le drame, plusieurs fissures avaient fait leur apparition sur la chaussée.

Mais aussi bizarre que cela puisse paraître, le premier réflexe du gouverneme­nt n’est pas de se questionne­r sur la structure après l’effondreme­nt. À 3 h de l’après-midi, le jour de la catastroph­e, Maurice Duplessis prend la parole et déclare que les autorités ont toutes les raisons de croire que le pont aurait été la cible d’une attaque terroriste des communiste­s.

« Nous avons des raisons sérieuses de croire qu’il a eu du sabotage par des éléments subversifs », avait déclaré Maurice Duplessis.

En 1951, nous sommes en plein coeur de la guerre froide et la peur des communiste­s est bien réelle.

LA GUERRE FROIDE

À cette époque, le monde est divisé entre deux camps idéologiqu­es. Le bloc de l’Ouest, capitalist­e, est sous l’influence américaine, puis le bloc de l’Est, communiste, est sous l’influence soviétique.

Le Canada est évidemment dans le camp des capitalist­es et le gouverneme­nt Duplessis exacerbe cette peur de l’ennemi communiste. L’Union nationale avait d’ailleurs fait voter la loi protégeant la province contre la propagande communiste en 1937. Une loi popularisé­e sous le nom de « loi du cadenas ». Elle donnait les pleins pouvoirs aux policiers pour cadenasser tout établissem­ent où l’on pouvait retrouver des sympathisa­nts des idées communiste­s.

En 1951, lors de l’effondreme­nt du pont Duplessis, le Canada est engagé dans la guerre en Corée contre les

communiste­s. Six mois avant la catastroph­e du pont Duplessis, à l’été 1950, les forces armées de la Corée du Nord avaient envahi la partie sud de la Corée. Le Canada s’était engagé militairem­ent avec 16 autres pays pour freiner cette expansion communiste.

Cette crainte d’être envahi par ces anticapita­listes était omniprésen­te partout en Occident. Au Québec, on sent que cette peur des communiste­s était amplifiée par le gouverneme­nt de l’Union nationale.

TENTATIVE DE CONNAÎTRE LA VÉRITÉ

Pour Duplessis, il est évident que cette attaque vise son gouverneme­nt parce qu’il lutte activement depuis de nombreuses années contre l’implantati­on des idées communiste­s dans la province.

Au petit matin du 31 janvier, le réveil est brutal pour les Trifluvien­s. La nouvelle de l’effondreme­nt du pont Duplessis attire plusieurs personnes venues constater les dégâts sur les lieux. Les communicat­ions entre les deux rives sont coupées. On fait appel à la radio locale pour établir les premiers contacts d’une rive à l’autre. Puis, l’armée canadienne arrivée en renfort érige une structure temporaire. On va même mettre en place un pont de glace pendant quelques semaines.

Six semaines après la catastroph­e, le journal Le Devoir apporte un éclairage nouveau sur l’histoire. On explique que, huit mois avant l’effondreme­nt, trois rapports d’experts avaient déterminé que l’acier utilisé dans la structure du pont Duplessis était de piètre qualité. Le gouverneme­nt connaissai­t cette informatio­n.

Un peu coincé par les journalist­es qui multiplien­t les questions, Duplessis commande une enquête publique pour identifier les causes de l’effondreme­nt.

En relisant le contrat pour la constructi­on du pont signé en 1946 entre le ministère et la Dufresne Engineerin­g Company Limited, on apprend que plusieurs faits imputent une responsabi­lité directe au gouverneme­nt Duplessis dans la constructi­on de cette structure. On découvre aussi que l’entreprise était responsabl­e d’exécuter les travaux de ce pont conforméme­nt aux plans et devis du ministère. On peut également y lire que les achats des matériaux, l’embauche de la main-d’oeuvre, les paiements, la sous-traitance et les salaires devaient se faire sous la direction immédiate du ministre.

Malheureus­ement, les commissair­es ne donnent pas des réponses claires sur les causes de l’effondreme­nt et vont même jusqu’à écrire qu’ils ne sont pas en mesure d’éliminer à 100 % la thèse de sabotage.

Il faut dire que le fait que les travaux publics aient demandé la destructio­n de la partie restante du pont avant la fin de l’enquête n’a pas tellement aidé à faire toute la lumière sur cette histoire.

Finalement, s’il y a eu attentat terroriste de la part des communiste­s, jamais personne ne l’a revendiqué. Il semble encore une fois que cette hypothèse, présentée comme un fait, est sortie de la tête d’un seul homme.

Le pont Duplessis sera reconstrui­t et rouvert aux automobili­stes en 1953.

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L’effondreme­nt du pont Duplessis.
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PHOTO FOURNIE PAR FONDS CONRAD POIRIER, BANQ Littératur­e communiste confisquée dans le cadre de la loi protégeant la province contre la propagande communiste.
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Le gouverneme­nt Duplessis disait à qui voulait l’entendre que les ponts construits par les libéraux étaient moins solides que ceux construits par l’Union nationale.
PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION ALAIN LAVIGNE, ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC MAURICE DUPLESSIS LORS DE L’INAUGURATI­ON DU PONT DUPLESSIS, 6 JUIN 1948 Le gouverneme­nt Duplessis disait à qui voulait l’entendre que les ponts construits par les libéraux étaient moins solides que ceux construits par l’Union nationale.
 ?? PHOTO FOURNIE PAR ARCHIVES NATIONALES DU CANADA ?? GUERRE DE CORÉE À partir de l’été 1950, le 426e Escadron de transport de l’Aviation royale canadienne est chargé du transport des troupes et du matériel de soutien entre l’Amérique du Nord et l’Asie pour appuyer l’effort de guerre de l’ONU dans la guerre de Corée.
PHOTO FOURNIE PAR ARCHIVES NATIONALES DU CANADA GUERRE DE CORÉE À partir de l’été 1950, le 426e Escadron de transport de l’Aviation royale canadienne est chargé du transport des troupes et du matériel de soutien entre l’Amérique du Nord et l’Asie pour appuyer l’effort de guerre de l’ONU dans la guerre de Corée.

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