Le Journal de Quebec - Weekend
Le Québec plongé dans les ténèbres… EN 1932
À 16 h 24 le 31 août 1932, une « nuit étrange de quelques secondes […] comme un souffle de dieu » s’abat sur Montréal, selon les journaux, qui relatent une plongée « dans les ténèbres ». Le Québec connaît sa première grande éclipse solaire totale du 20e siècle.
Suivant une trajectoire complètement différente de celle du 8 avril prochain, l’éclipse de 1932 prend naissance en Sibérie et suit une trajectoire nord-sud vers le New Hampshire, aux États-Unis, via la baie James. De Fort George aux frontières américaines, l’ombre de la Lune touche directement les villes de Trois-Rivières et de Sherbrooke.
Même si Montréal est à la limite de la « totalité », elle est plongée dans le noir pendant une bonne minute. Des « faits étranges dans les rues » sont rapportés dans le journal du lendemain. Des chevaux s’étendent pour la nuit et les « oiseaux affolés » se lancent dans des « cabrioles inaccoutumées ».
SAVANTS PRÉSENTS À ACTON
Si les nuages obstruent la vue du Soleil pour les observateurs de la métropole, les astronomes rassemblés à Acton Vale, en Estrie, ont plus de chance, car le ciel est sans nuage. Pendant les 99 secondes de l’éclipse totale, le « groupe de savants » venu de l’étranger a pu faire « toutes ses observations dans des conditions idéales ».
Il faut dire qu’en plus de l’enthousiasme public suscité par cette grande éclipse en pleine crise économique – il y en aura deux autres au 20e siècle, en 1963 et en 1972 –, la communauté scientifique est encore à l’affût des découvertes possibles pendant que la Lune obstrue la lumière du Soleil.
C’est que la précédente éclipse a été un tournant dans la compréhension de la théorie de la relativité d’Albert Einstein. Le journaliste scientifique Joël Leblanc, qui vient de publier un livre sur la science des éclipses avec l’astronome Julie Bolduc-Duval, relate l’expérience menée par l’astronome britannique Arthur Eddington.
Il avait placé des observateurs à différents endroits de la planète pendant l’éclipse du 29 mai 1919 afin de démontrer que la lumière dans l’univers était déviée par les étoiles. Le concept de l’espace-temps et de la courbure de la lumière ont ainsi été brillamment illustrés.
« Observées pour la première fois par les Chinois il y a plus de quatre millénaires, les éclipses continuent d’apporter leur contribution scientifique, commente M. Leblanc. Les éclipses ont servi à mesurer avec une grande précision la distance entre la Terre, la Lune et le Soleil, par exemple. »
Président de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec, Joël Leblanc encourage les Québécois à vivre pleinement ce moment historique.
Où enfilera-t-il ses lunettes ? Pas encore décidé. Il choisira l’endroit le moins nuageux à portée de voiture, quitte à filer vers les États-Unis…
FAMILLE D’ÉCLIPSES
Comme les espèces animales, les éclipses sont regroupées par familles qu’on appelle « saros ». Notre éclipse porte le numéro 139 et a pris naissance le 17 mai 1501. Tous les 18 ans, elle projette de nouvelles ombres sur la Terre en se modifiant légèrement.
« De 1 minute et 43 secondes en 1843, elle sera de 4 minutes et 28 secondes en 2024, et atteindra le maximum de 7 minutes et 29 secondes le 16 juillet 2186. Ensuite, la progression se déroulera inversement jusqu’à une dernière petite éclipse partielle le 3 juillet 2763 », peut-on lire dans Éclipse.
Leblanc, J. et Bolduc-Duval J. Éclipse, quand le Soleil fait son cirque, Éditions MultiMondes, 2024. Lunettes de protection incluses.