Le Journal de Quebec - Weekend

LES FANTÔMES N’EXISTENT PAS

Cassie Bérard sait développer avec simplicité des scénarios complexes. Cette fois, ce sont les forces occultes qui servent de paravent aux drames de la réalité.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Congé, le tout récent roman de Cassie Bérard, est plus facile d’accès que ses précédents ouvrages. La valeur de l’inconnue puis L’équilibre étaient fascinants, mais il fallait accepter de plonger dans l’univers particulie­r des mathématiq­ues ou d’un système carcéral utopique. Alors que là, les repères sont limpides puisqu’ils s’appuient sur l’archiconnu romancier Stephen King !

Bérard met en scène Clémence qui habite Mystic, véritable petit village des Cantons-de-l’Est. Elle a pour amant un romancier américain pas très doué, qui s’inspire fortement de King. Il séjourne dans la région quelques mois par année pour écrire.

De son côté, Clémence est policière et pas convaincue d’en avoir la vocation. Mais pour le moment, elle est en congé et doit voir à la ferme qu’elle a récemment héritée de son père.

En fait, elle ne s’occupe de rien. C’est qu’elle est préoccupée. Jacob, son amant, l’a plantée là sans explicatio­n. Il a toutefois laissé derrière lui un manuscrit inachevé, basé sur une lointaine histoire de meurtre devenue une légende à Mystic.

Clémence décide donc de partir pour Portland, dans le Maine — lieu de naissance de King, dont elle est aussi friande, et également là où vit Jacob. Elle veut lui rendre son travail et surtout savoir à quoi tient leur relation.

Or, quelqu’un observe Clémence dans l’ombre : ses gestes, ses hésitation­s, ses décisions. C’est même ce personnage qui raconte. Peu à peu, ce quelqu’un prend sa propre place dans le récit : une figure fantomatiq­ue qui devient chair. Cela donne une nouvelle dimension aux tourments de Clémence.

LES PEURS QU’ON S’INVENTE

Cassie Bérard part donc des peurs qu’on s’invente. D’abord, elle insère ici et là des indices que quelque chose ne tourne pas rond » : une odeur, « une présence de nature imprécise », un décor sale, un valet d’hôtel évanescent… Elle souligne les différence­s entre les fantômes, les sorcières, les démons. Elle insiste sur les regards…

Elle crée en fait une atmosphère que l’on qualifie d’inquiétant­e parce qu’on en connaît les caractéris­tiques.

Mais la vie ne présente pas de manière aussi limpide les signes de danger. Et c’est ainsi qu’elle fait glisser son histoire vers les craintes réelles auxquelles sont confrontée­s les femmes et qu’elles identifien­t souvent trop tard. Est-ce qu’on reconnaît même les crimes commis contre elles ?

C’est pourquoi il faut se méfier des légendes, surtout quand vient l’heure de trouver des coupables : « À Mystic, les gens ont toujours voulu croire aux fantômes et aux sorcières. Peut-être est-ce plus rassurant que d’imaginer que l’on puisse mourir aux mains des hommes. »

Et la plus inattendue des terreurs, n’est-ce pas de constater la complicité dont ces hommes arrivent à s’entourer pour se protéger ?

Ce récit prenant et surprenant se conclut toutefois sur une note d’espoir : la prise de parole des femmes est désormais une arme pour confronter les spectres.

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Cassie Bérard Éditions La Mèche 132 pages 2024
CONGÉ Cassie Bérard Éditions La Mèche 132 pages 2024
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