Le Journal de Quebec - Weekend
UN CONDAMNÉ À MORT DEVENU BOURREAU
« La Corriveau », condamnée à la pendaison pour le meurtre de son mari et exposée par la suite dans une cage de fer, est probablement le cas d’une condamnation à mort le plus célèbre de notre histoire. Un autre cas de condamnation est moins connu, mais tout aussi intéressant : celui du bourreau Jean Rattier. Retour sur un fait divers insolite de notre passé…
La mise à mort par inhalation d’azote d’un individu accusé de meurtre en Alabama, aux États-Unis, a fait couler beaucoup d’encre récemment et montre à quel point nos moeurs et nos valeurs ont changé au Québec et en Occident. Plusieurs s’interrogeaient, à juste titre, sur la justification morale de punir le meurtre par un autre meurtre.
De nos jours, à l’exception de quelques rares endroits, la peine de mort n’est plus pratiquée dans les pays occidentaux. Néanmoins, elle a longtemps été pratiquée chez nous. Elle était confiée aux soins d’une profession bien particulière : celle de bourreau !
Autrefois, le travail du bourreau était soit de procéder à la torture punitive ou d’exécuter un condamné à mort.
Appelé officiellement exécuteur de la haute justice ou maître des hautes oeuvres, le nom vulgaire de bourreau lui était donné par le peuple, qui méprisait généralement cette fonction et la personne qui en était titulaire.
Comme le souligne André Lachance, historien spécialiste du système judiciaire en Nouvelle-France et auteur de l’ouvrage Le bourreau au Canada sous le régime français, le bourreau était l’exécutant du roi. Ce dernier était le seul autorisé – avec ses officiers – à juger un criminel en France et en Nouvelle-France en vertu du pouvoir qui lui était conféré par Dieu.
LE CAS DE JEAN RATTIER
À l’époque, explique Lachance,
« pour juger un accusé, on se fondait non pas comme aujourd’hui sur un esprit de justice, mais plutôt sur un désir de vengeance ». L’objectif était de punir et de dissuader par la peur, d’où le fait qu’il était normal à l’époque qu’on applique la loi du talion en torturant ou en exécutant un coupable en public.
Toutefois, il était souvent ardu de dénicher des individus volontaires pour devenir maître des hautes oeuvres, ce qui explique pourquoi les juges obligeaient fréquemment des criminels à devenir bourreau en échange de leur peine. C’est ce qui est arrivé au 17e siècle à un certain Jean Rattier.
Jean Rattier, dit Dubuisson, est originaire de Saintonge, en France. En 1672, alors qu’il exerce le métier de domestique à Trois-Rivières, il épouse Marie Rivière, originaire elle aussi de Saintonge. Le couple déménage en 1676 sur une terre de Saint-François-du-Lac. C’est là que survient un événement tragique qui change considérablement la destinée de la famille Rattier.
En 1679, au cours d’une rixe impliquant plusieurs personnes, une jeune femme de 20 ans est tuée. Jean Rattier est reconnu coupable du meurtre et est condamné à la potence.
Il décide de porter en appel la décision. Toutefois, le verdict reste le même : Rattier doit être pendu ! Mais il y a un problème. Le bourreau Jacques Daigre vient tout juste de mourir et il n’y a personne pour procéder à l’exécution de Jean Rattier.
On met alors ce dernier devant un dilemme : soit il croupit en prison en attendant qu’un bourreau soit trouvé pour procéder à son exécution, soit il devient lui-même bourreau et peut retrouver sa liberté. Rattier s’empresse d’accepter l’offre d’emploi et devient le nouveau bourreau de Nouvelle-France, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort, en 1703.