Le Journal de Quebec

Superwoman cherche superman

- richard Martineau richard.martineau@quebecorme­dia.com

On estime que le public qui a assisté aux premières projection­s du film Fifty Shades of Grey était à 98% féminin.

Après 40 ans de lutte féministes, les femmes font la queue pour voir un film racontant comment une jeune vierge s’éprend d’un milliardai­re qui la contrôle, l’attache et la fouette.

Simone de Beauvoir doit se retourner dans sa tombe!

S’ABANDONNER, ENFIN

Sur le site Psychologi­es.com, on a demandé à l’auteure AnneLaure Gannac pourquoi la trilogie de E. L. James était si populaire auprès des femmes.

Voici sa réponse: «Le roman remet en question le rôle de la femme, qui apparaît comme soumise. Anastasia est la femme-objet par excellence, la gourde, celle qui n’est pas là pour penser, mais pour être possédée.

«Pourquoi cela marche toujours? Parce que cela renvoie à quelque chose de très primaire en nous, que l’on retrouve dans les fantasmes féminins depuis toujours, où la femme se pose en réceptacle passif face à un homme qui serait l’incarnatio­n de la puissance virile non contenue.

«Plus nous avançons dans l’égalité entre hommes et femmes sur le plan sociétal et plus cette part en nous est refoulée. Or, le refoulé effectue parfois des retours. Tout ce que l’on rejette intellectu­ellement vient trouver des moyens détournés pour s’exprimer…»

Les femmes bossent comme des folles depuis quelques années. Dans leurs études, au travail, à la maison…

Elles déplacent de l’air, serrent les dents, ferment les poings, mettent les bouchées doubles…

Or, dans l’univers fantasmago­rique de Fifty Shades of Grey, la superwoman dépose – enfin – les armes. Ce n’est plus elle qui décide, qui se bat, qui fonce.

Comme m’a dit la sexologue Sylvie Lavallée: «La Germaine trouve une oasis imaginaire où elle cesse de gérer et de mener! Elle peut enfin céder le contrôle et s’abandonner…»

LE ZEITGEIST

L’auteure de Fifty Shades of Grey n’a peut-être aucun talent, elle écrit peut-être comme un pied. Mais comme plusieurs auteurs de mégabest-sellers (je pense entre autres à Dan Brown, un piètre écrivain qui exploite à merveille notre obsession collective pour la religion et les théories du complot), elle a réussi à encapsuler parfaiteme­nt «l’esprit du temps» – ce que les Allemands appellent le Zeitgeist.

Comme un sourcier, elle a découvert une rivière secrète qui coule dans notre inconscien­t collectif et réussi à l’embouteill­er, à la commercial­iser et à la vendre.

Ce n’est pas de l’art, certes. Mais il est indéniable que le succès mondial de cette oeuvre populaire dit quelque chose d’important sur notre époque, sur ce que nous pensons et ressentons.

SUPERWOMAN ET SUPERWOMAN

La femme du 21e siècle est une superwoman, forte, courageuse, déterminée.

Mais ça ne l’empêche pas de rêver de rencontrer un superman qui saura, quelques fois par semaine, la délivrer de son fardeau, prendre les choses en main et la propulser au septième ciel.

Malheureus­ement, autant la femme est forte en 2015, autant l’homme est fragile (pensez aux nombreuses séries télé qui mettent en scène des hommes dépressifs, de Mad Men aux Sopranos).

Qui sait? C’est peut-être la raison pour laquelle la culture populaire s’intéresse autant aux lesbiennes, depuis quelque temps.

Parce que les supermen se font de plus en plus rares…

Autant la femme est forte, en 2015, autant l’homme est fragile...

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