Le Journal de Quebec

Je suis caricaturi­ste

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Depuis le 7 janvier, des millions de gens disent et écrivent «Je suis Charlie».

Mais avec ce qu’il vient de se passer à Copenhague, où un attentat terroriste visait le caricaturi­ste suédois Lars Vilks, je pense qu’il faut qu’on change notre slogan pour: «Je suis caricaturi­ste».

L’HOMME À ABATTRE

Depuis la publicatio­n en 2007 d’un dessin de chien avec une tête de Mahomet, Vilks était menacé de mort par AlQaïda. Il vivait sous protection policière rapprochée.

En 2009, 2010 et 2011, il a été la cible de tentatives d’assassinat et de complots terroriste­s islamistes, qui ont tous échoué. Il a été agressé. Sa maison a été incendiée.

Sa tête est mise à prix: 100 000 $ s’il est tué, 150 000 $ s’il est égorgé.

Sans la présence de ses gardes du corps, Lars Vilks aurait peutêtre été tué samedi, en plein débat sur la liberté d’expression, un événement organisé en hommage à Charlie

Hebdo.

Qui aurait cru un jour que caricaturi­ste deviendrai­t un des métiers les plus dangereux au monde?

UNE CIBLE ÉMOUVANTE

Jeudi dernier, à Open Télé, l’émission que j’anime à MAtv, on a fait un débat sur la liberté d’expression.

Parmi mes huit invités, il y avait Marc Beaudet, caricaturi­ste pour le journal que vous êtes en train de lire.

Je lui ai demandé comment il s’était senti lors des attentats contre Charlie Hebdo. Il m’a répondu avec beaucoup d’émotion: «Les balles qui ont été tirées à Paris m’ont touché. […] Quand c’est arrivé à Charlie Hebdo, c’est comme si le temps s’était arrêté.»

Puis j’ai demandé à Beaudet s’il avait peur depuis les attentats. «Mes enfants ont eu peur, beaucoup. Comment expliquer à ses enfants ce qui s’est passé, quand papa travaille dans un journal et fait le même métier que les gens qui ont été tués? Un soir, deux jours après les attentats, mon plus grand pleurait sans arrêt, il était inconsolab­le. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas. «Papa, papa, je veux pas que tu te fasses tuer.» J’ai essayé de le consoler… mais je pleurais autant que lui.»

Après l’attentat de Copenhague, je ne sais pas comment tous les Marc Beaudet de la planète ont pu consoler leurs enfants. Comment leur expliquer qu’un monsieur qui fait le même métier qu’eux a failli mourir à cause de ses dessins?

Qui sera le prochain caricaturi­ste à être une cible des fous d’Allah?

KEEP CALM AND CARICATURE

Sur sa page Facebook, Marc Beaudet vend un t-shirt dont les profits sont versés à Charlie Hebdo. Sur ce chandail, il a reproduit une de ses caricature­s. Sur un fond noir est écrit en majuscules blanches: «KEEP CALM AND CARICATURE», «restez calme et caricature­z».

C’est un jeu de mots sur le slogan «Keep calm and carry on» qu’on trouvait sur des affiches britanniqu­es pendant la Deuxième Guerre mondiale.

J’espère en effet que les caricaturi­stes vont continuer leur travail, continuer de tremper leur crayon dans le vitriol, continuer de choquer, de provoquer et même d’offenser.

Mais «rester calme», ça, je ne suis pas sûre.

Qui aurait cru un jour que caricaturi­ste deviendrai­t un des métiers les plus dangereux au monde ?

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