Le Journal de Quebec

Le cardinal Turcotte : un homme de son temps

- denise bombardier Journalist­e, écrivaine et auteure

C’est fou comme les gens se réappropri­ent les personnali­tés qui décèdent. Depuis mercredi, chacun a décrit «son» cardinal Jean-claude Turcotte, le dernier archevêque médiatique du Québec déclérical­isé. L’homme n’était ni un intellectu­el ni un prince de l’église comme le fut avant lui le cardinal Léger, ni un technocrat­e de l’institutio­n comme son contempora­in le cardinal Marc Ouellet.

Son éminence Jean-claude Turcotte était un homme simple, près des gens, comme on le répète, mais sa personnali­té était plus complexe que ce qu’il en révélait. Tout prêtre issu d’un milieu modeste comme lui ne peut pas accéder aux fonctions supérieure­s de l’église catholique sans une ambition, légitime cela va de soi, et un tempéramen­t qui lui permettent de s’élever audessus de ses pairs et d’être choisi par des autorités ecclésiast­iques.

Le cardinal était sans doute plus conservate­ur qu’une partie des prêtres du Québec, mais son pragmatism­e lui permettait d’éviter le dogmatisme qui fut si présent et pesant dans l’église québécoise. C’était en fait un homme accommodan­t, mais qui ne cédait pas à l’appel d’une modernisat­ion de la doctrine. Comme tous les religieux, il refusait l’avortement, le mariage des divorcés, l’accès des femmes à la prêtrise et le mariage gai. Il faut être naïf ou ignorant de la doctrine de l’église pour se surprendre de ses positions. Mais le cardinal n’était pas un moralisate­ur. Il ne jugeait guère ses semblables, gardant sans doute à l’esprit la phrase de Jésus: «Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre», phrase prononcée devant des scribes et des pharisiens prêts à lapider une femme prise en flagrant délit d’adultère.

Mgr Turcotte possédait des qualités qui en auraient fait un politicien populaire et respecté de ses adversaire­s. Son côté bon enfant, discret, mais aussi conscient de son statut et de sa responsabi­lité pastorale lui a permis d’être épargné par les critiques vitrioliqu­es des Québécois aveuglémen­t anticléric­aux.

Cet homme de foi avait aussi gardé une fidélité à sa famille. À ses soeurs au milieu desquelles il avait grandi. Ce qui expliquera­it que, contrairem­ent à beaucoup de clercs, il n’était pas mal à l’aise en présence des femmes.

Ce fut un homme de son temps et de sa génération qui a assisté à la mise à l’écart de l’église québécoise et à la déchristia­nisation foudroyant­e de ses compatriot­es. Le cardinal n’a connu ni la puissance ni la gloire des évêques qui l’ont précédé. Celui qui ne s’embarrassa­it guère des pompes et des privilèges rattachés à sa fonction a aimé fidèlement ce peuple dont il était le digne fils.

Sa mort a libéré une parole qui n’existe plus dans les médias et qui est celle de croyants laïques et de membres du clergé qui gardent un profil bas depuis des années. L’affirmatio­n de la foi, de la reconnaiss­ance du rôle de ce représenta­nt de l’église a dû en surprendre plusieurs. Les anticléric­aux et les antireligi­eux ont été silencieux cette semaine et on a envie de dire au cardinal: «Merci, Monseigneu­r Turcotte d’avoir, par votre disparitio­n, obligé les Québécois à se rappeler que l’église fut au coeur de notre identité collective.»

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Cardinal JeanClaude Turcotte.
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