Petite vie numérique
À force d’en apprendre, on finit par avoir le moral en Moldavie. Sans parler de l’ambiance, sensiblement alourdie. Depuis Charlie Hebdo, l’assemblée nationale craint le pire.
On mobilisera d’ailleurs la faune parlementaire ce mois-ci pour une formation obligatoire visant à «expliquer la marche à suivre en cas d’incident impliquant un tireur fou». C’est, dit-on, le «Plan de réponse pour des établissements sécuritaires».
C’est un «plan» parmi d’autres, car toutes les bureaucraties sont à l’ère des «plans», surtout des plans informatiques. Ça leur donne sans doute une raison d’être. Des plans pour tout et rien. Pour retracer son homard, son héritage ou son ex. Le numérique dope l'imagination et les organigrammes...
Il y a tellement de sites internet que ça prendrait une semaine de congé pour les visiter tous. Il y en a officiellement 760. Comme si l’état était affligé d’une étrange vanité. Tout le monde veut (et obtient) sa petite fenêtre sur le monde virtuel. Même si ça n’intéresse pas grand monde. Il y a un site sur l’autonomie, un autre sur l’avenir en santé, etc. Ça coûte évidemment très cher à créer et à entretenir, bien que l’on ne sache pas vraiment s’il y a des intéressés.
Un jour, par erreur, je suis débarqué dans une discrète coquille du ministère de la Santé. Sur la porte, c’était écrit: «Saines habitudes de vie». L’atmosphère était aussi légère qu’à la Commission de toponymie: un emploi à vie pour lutter contre l’obésité rendrait n’importe qui parfaitement heureux. Peu importe ensuite si le site internet ne fait pas plus d’audience que Belle et Bum…
Idem au Centre de leadership et de développement des compétences, une autre obscure organisation dédiée exclusivement au confort intellectuel des fonctionnaires. Son site internet coûte 102 000 $ à entretenir et il échappe naturellement à l’austérité. On y offre même une formation sur la gestion des absences. Au Centre des services partagés, on connaît l’effet pervers de l’assurance salaire sur la motivation…
Il ne s’agit toutefois pas de liquider tout le numérique. Il faut être de son temps. Et ça ferait hurler l’élite bienpensante qui jouit de sa modernité en citant Barthes au Canal Savoir. Quand on voit ce qui se passe ailleurs, on se dit seulement qu’un peu de bon sens serait nécessaire.