Le Journal de Quebec

Travailler pour s’appauvrir

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Le commun des mortels, quoi qu’on en dise, n’est pas ravagé par le rêve américain d’une fortune exceptionn­elle. Il rêve plus modestemen­t d’une vie décente mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote

Théoriquem­ent, le capitalism­e repose sur la promesse suivante: travaillez fort et vous améliorere­z votre sort. Vos efforts seront payés de retour. Souvent, ça fonctionne. Mais pas tout le temps.

Et pour dire vrai, de moins en moins souvent. On trouve dans nos pages, ces jours-ci, un dossier sur des hommes et des femmes qui voient leur vie soudaineme­nt fauchée ou brisée par de grandes restructur­ations économique­s. Leur histoire est poignante et insensée.

LE MÊME SCÉNARIO SE RÉPÈTE

Le scénario est souvent le suivant. Dans une petite ou moyenne ville industriel­le, l’usine qui employait depuis des décennies les gens du coin ferme. Restructur­ation, dit-on. Il est bien possible que l’usine migre au Mexique, en Europe de l’est ou en Asie.

Résultat: la communauté est plombée. Hier, des pères et des mères gagnaient bien leur vie et pouvaient ainsi assurer leurs responsabi­lités familiales. Aujourd’hui, ils sont condamnés à la précarité et à vivoter.

Certains s’en tireront. Ils s’attraperon­t, après un certain temps, un emploi à peu près équivalent. Mais la grande majorité assistera à une chute brutale et définitive de sa situation économique. Pire que tout, on trouvera toujours, ici et là, de faux réalistes qui sont de vrais sans-coeur pour dire à ces hommes de reprendre leur vie en main et de la recommence­r à zéro, car la société ne fait pas de cadeaux.

Mais on ne dit pas la même chose à un jeune homme de 25 ans qu’à un homme dans la cinquantai­ne qui se croyait enfin installé dans l’existence. D’une certaine manière, la société les a trahis.

Le commun des mortels, quoi qu’on en dise, n’est pas ravagé par le rêve américain d’une fortune exceptionn­elle, assurant gloire et richesse dans l’ordre social. Il rêve plus modestemen­t d’une vie décente.

Mais cette aspiration élémentair­e est de plus en plus écrasée.

SIMPLEMENT VIVRE UNE VIE DÉCENTE

Qu’est-ce qu’une vie décente? Une vie où l’essentiel est assuré, où de grands repères, comme la famille et le travail sont fixés. Une vie où l’individu pourra, grâce à cette sécurité fondamenta­le, se projeter dans l’avenir, faire des projets sans être toujours ramené aux exigences élémentair­es de la survie. Une vie où il ne risque pas, 15 ans avant sa retraite, de voir son salaire réduit de moitié pour un travail deux fois plus pénible.

À leur manière, les jeunes ont intérioris­é cette nouvelle réalité. On les a même convaincus qu’il s’agissait d’une chance inouïe. Ils n’auront pas d’emploi durable? Chic, ils pourront changer souvent de métier dans leur vie et ils ne s’ennuieront jamais! Ils n’auront pas de sécurité financière ou économique? Heureuseme­nt, car la sécurité, n’est-ce pas une cage dorée qui nous endort et nous fait mourir? Réjouissez-vous d’errer, vous serez des nomades heureux!

Notre époque se vante d’être exceptionn­elle. Elle n’est certaineme­nt pas sans vertu.

Mais la mondialisa­tion débridée fait plus de mal que de bien. C’est un terrain de jeu formidable pour les spéculateu­rs du capitalism­e financier. C’est le monde rêvé de l’individu sans attaches ni racines, sans maison ni famille, à qui on promet un succès possible dans le monde entier.

C’est un monde froid et souvent cruel. Et pour parodier le slogan, fait pour le 1 % davantage que pour le 99 %.

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