Rattrapé par le temps
Todd Ewen, redresseur de torts du Canadien durant la première moitié des années 1990, n’est plus. La police de Saint Louis, où il vivait, classe son décès comme un suicide. Ewen se serait enlevé la vie avec une arme à feu. Il luttait contre la dépression depuis plusieurs années.
Deux jours après sa mort tragique, ni la LNH ni l’association des joueurs n’avaient émis de communiqué sur ce triste événement.
Pourtant, comme les grands noms qui ont marqué l’histoire du hockey, Ewen a accompli correctement le travail que ses équipes attendaient de lui.
Il pratiquait le style de son époque, qui commandait que les joueurs comme lui rétablissent l’ordre par la bagarre pour venger et protéger leurs coéquipiers contre de futures agressions, comme on disait.
C’était une loi vieille comme le hockey.
ÂME D’ARTISTE
Dans la vie de tous les jours, Ewen affichait ce côté bon enfant propre à la plupart des bagarreurs sur patins. Il était un artiste dans l’âme.
Le bon gars de l’ouest canadien qu’il était jouait de la guitare et chantait. Il réalisait des bandes dessinées, passetemps dont il désirait faire un travail après avoir raccroché ses lames.
Ewen pouvait fabriquer n’importe quoi de ses mains avec n’importe quoi. Un jour, il m’avait fait cadeau d’une culotte de hockey miniature blanche ornée de bandes rouges et noires de chaque côté et de bretelles noires, conçue avec des rubans gommés.
ÊTRE SANS MALICE
Jacques Demers, qui l’a dirigé à sa dernière saison avec le Canadien, se rappelle de lui comme d’un gars d’une gentillesse et d’un calme remarquables.
Ewen n’avait pas de malice dans les yeux. Beau bonhomme, il avait le sourire facile et il était quelqu’un avec qui on prenait plaisir à jaser. Il faisait son travail de dur sur la glace sans se croire plus fort que personne.
Certes, il fallait bien qu’il possède cette flamme propre aux bagarreurs, mais il n’avait pas cet air qui faisait de Chris Nilan, Bob Probert, Jay Miller, Behn Wilson ou Dave Manson des joueurs extrêmement intimidants.
Ewen possédait peu d’habiletés pour le hockey. Même dans les rangs mineurs, il n’effectuait que deux ou trois présences sur la glace par match.
Sa mère, qui était enseignante, ne comprenait pas son entêtement à continuer. Il s’est accroché pour faire mentir les gens qui l’abaissaient.
Les Oilers d’edmonton l’ont repêché en huitième ronde – 168e au total – en 1984.
À sa première saison professionnelle, l’entraîneur en chef de l’équipeécole des Oilers lui a dit qu’il ne l’utiliserait pas tant qu’il n’améliorerait pas son coup de patin et il a été échangé aux Blues de Saint Louis.
PERSONNE D’INVINCIBLE
Après seulement 16 rencontres dans la Ligue internationale, il était promu avec les Blues et, durant 11 saisons, Ewen s’est mesuré aux poids lourds de la LNH.
Mais son gabarit de 6 pieds 4 pouces, 230 livres, ne l’a pas protégé contre les mauvais coups.
On rencontre toujours son Waterloo à un moment donné.
Un soir d’octobre 1998, Dave Morissette a eu le dessus sur Bob Probert, au Centre Bell. Ce fut le haut fait d’armes de sa courte carrière dans la LNH.
Son entregent en a fait un joueur apprécié du public et des médias. Sa popularité lui a permis de devenir animateur de télévision.
Mais au profond de lui-même, il craint que des relents de sa carrière pugilistiques finissent par le rattraper. Il en voit tomber d’autres autour de lui.
En 2011, Derek Boogaard, Rick Rypien et Wade Belak, des bagarreurs qui jouaient encore dans la LNH, sont morts en l’espace de trois mois.
Tous souffraient de dépression, comme Steve Montador, décédé le printemps dernier.
Boogaard a été emporté par une surdose de médicaments tandis que les trois autres se sont suicidés.
LA NFL S’EN EST BIEN TIRÉE
Pendant ce temps, Gary Bettman et Bill Daly répètent à qui veut l’entendre que la médecine n’a pas encore établi avec certitude qu’il existe un lien entre les coups à la tête et l’encéphalopathie chronique traumatique.
Il faudra combien de victimes avant qu’ils se rendent à l’évidence.
Comme l’a fait la NFL, ils devraient conclure une entente hors cour avec les quelque 200 anciens joueurs souffrant d’effets post-commotion ayant déposé une plainte en recours collectif.
Quelque 5000 anciens joueurs de la NFL ont accepté un règlement à l’amiable de l’ordre de 765 millions $ dans une poursuite qu’ils avaient intentée contre la ligue.
Selon des spécialistes en matière juridique, ce sont des milliards de dollars qu’ils auraient retirés s’il y avait eu procès.
On peut toujours dire que les joueurs de hockey et de football savent qu’ils s’exposent à de sérieuses blessures à la tête. Mais ce n’est pas une excuse valable.
Comme il se trouvera sans doute toujours des Don Cherry pour dire qu’un coup de poing n’a jamais tué quelqu’un.
Mais la réalité est que les bagarres sont en forte baisse dans la LNH.
Les bagarreurs sont pratiquement éliminés de la carte. Les Blackhawks de Chicago n’ont pas remporté la coupe Stanley trois fois en six ans avec des assommeurs de boeuf dans leurs rangs.
Les dirigeants et les joueurs ont enfin compris que le hockey n’est pas du roller-derby.
Mais il est trop tard pour Todd Ewen. Qu’il repose en paix.
« On peut toujours dire que les joueurs de hockey et de football savent qu’ils s’exposent à de sérieuses blessures à la tête. Mais ce n’est pas une excuse valable. »