Il n’y a pas de fatalité
Les recherches les plus intéressantes, d’où qu’elles viennent, sont celles qui, tout en étant rigoureuses, tordent le cou aux mythes et aux idées reçues
C’est l’un des adages les plus connus: quand on n’aime pas le message, on tire sur le messager.
Tous les chroniqueurs le vivent. Quand je dérange, on me dit que je suis un agent du grand complot séparatiste ourdi par l’empire Quebecor.
Les chercheurs le vivent aussi parfois. Quand l’institut de recherche et d’informations socio-économiques, qui penche à gauche, dérange, on le discrédite en rappelant que la gauche ne saurait être que romantique et écervelée.
Quand l’institut économique de Montréal, qui penche à droite, agace, on dit qu’il est le porte-voix servile d’intérêts patronaux.
MYTHES
Je préfère pour ma part juger sur pièces. Or, les recherches les plus intéressantes, d’où qu’elles viennent, sont celles qui, tout en étant rigoureuses, tordent le cou aux mythes et aux idées reçues.
«Né pour un petit pain» et «les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent»: qui n’a pas entendu ces expressions?
Elles évoquent cette idée d’une pauvreté qui serait comme une fatalité, une trappe, un labyrinthe sans sortie. Elles donnent à penser que si vous êtes né pauvre, vous risquez fort de l’être pour toujours.
L’institut économique de Montréal rendra publique demain une étude que j’ai sous les yeux.
On savait déjà que cette idée de la pauvreté qui serait une prison dont on ne s’échappe pas était fausse au Canada.
L’étude le confirme avec les chiffres les plus récents.
Logiquement, pour voir si on échappe ou pas à la pauvreté, on ne peut se contenter de prendre la photo d’un moment précis. Il faut regarder sur la longue durée si les gens pauvres à un moment le sont encore des années plus tard.
FAITS
Prenez le dernier quintile des reve- nus les plus faibles en 1990. Vingt ans plus tard, en 2009, il n’y a plus que 13 % des gens à l’intérieur de ce dernier quintile qui s’y trouvent encore. La grande majorité a pris l’ascenseur vers le haut.
Autrement dit, il y aura toujours, forcément, des pauvres puisqu’on est toujours le pauvre de quelqu’un. Mais les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes personnes que les pauvres d’il y a quelques années, notamment parce qu’on trouve parmi elles beaucoup d’étudiants ou de jeunes travailleurs dont la condition est temporaire.
Mieux encore, ceux qui sont pauvres le sont moins que jadis et le demeurent moins longtemps. Entre 1993 et 1998, 3,6% des Canadiens sont restés sous le seuil de pauvreté pendant cette période. Entre 2005 et 2010, ce n’était plus que 1,5%.
Ce n’est évidemment pas une raison pour ne pas se préoccuper des pauvres qui restent. Ce n’est pas non plus une raison pour ne pas continuer à aider ceux qui luttent pour quitter la pauvreté. Mais c’est certainement une raison pour ne pas dire n’importe quoi.
Le vrai problème qui demeure est que si les pauvres, en grande majorité, s’enrichissent, les riches, eux, s’enrichissent plus vite parce qu’ils sont mieux placés pour tirer profit des opportunités.
D’où le creusement des écarts entre le haut et le bas.