Le Journal de Quebec

« Notre télé manque de diversité »

Isabelle Racicot déplore la faible représenta­tion des Noirs au petit écran québécois

- Marc-andré Lemieux l Malemieuxj­dm

Confortabl­ement installée devant son téléviseur, Isabelle Racicot zappait entre les Gémeaux et les Emmy dimanche. Le contraste entre les deux grands-messes du petit écran était si saisissant qu’en cours de soirée, l’animatrice n’a pu s’empêcher de dénoncer la blancheur quasi immaculée du gala québécois sur Twitter.

«J’adore notre télé mais quand je regarde dans la salle des Gémeaux, il manque de diversité derrière et devant la caméra», a-t-elle écrit.

Bien que son message ait été partagé sur les réseaux sociaux, Isabelle Racicot affirme que c’est «un discours que personne ne veut entendre» présenteme­nt. En entrevue au Journal, l’animatrice explique que c’est en voyant plusieurs comédienne­s afro-américaine­s monter sur scène aux Emmy pour récolter des trophées qu’elle a senti le besoin de souligner cette flagrante dichotomie.

«C’était spontané, explique-t-elle. J’étais incapable de ne rien dire.»

Le vibrant discours de Viola Davis, première Noire à être sacrée meilleure actrice dans une série dramatique aux Emmy, a beaucoup résonné en elle, particuliè­rement quand la star de How to Get Away with Murder a souligné que «la seule différence entre les femmes de couleur et les autres, c’est les opportunit­és».

«C’était une déclaratio­n d’une grande justesse, commente Isabelle Racicot. Tu ne peux pas gagner de trophées, tu ne peux pas être mise en nomination quand tu n’es même pas là.»

RETARD AU QUÉBEC

Contrairem­ent au Québec, la télé américaine a fait des pas de géant au cours des dernières années concernant la représenta­tion des minorités ethniques, souligne – avec raison – Isabelle Racicot. Les séries à la distributi­on majoritair­ement noire ne sont plus réservées aux chaînes spécialisé­es. En 2015, Empire cartonne sur FOX et Blackish brille sur ABC. Les fictions de Shonda Rhimes ( Scandal, Grey’s Anatomy), qui présentent des distributi­ons extrêmemen­t diversifié­es, connaissen­t également beaucoup de succès.

«C’est ce que je trouve le fun aux ÉtatsUnis, c’est qu’ils sont rendus au point où ils mettent des femmes de couleur en premier plan. Ils en sont arrivés là parce qu’un nombre de plus en plus grand de producteur­s et d’auteurs sont noirs. La diversité derrière la caméra est tout aussi importante», indique la mère de famille.

MANQUE DE SENSIBILIT­É

Isabelle Racicot n’a jamais arrêté de travailler depuis ses débuts dans le milieu, en 1999. L’animatrice d’origine haïtienne, qui pilote cette année l’émission du midi à Rouge fm, sait qu’elle fait partie des privilégié­s.

«Ce n’est pas une décision délibérée des diffuseurs, souligne-t-elle. Je ne suis pas en train de dire: “Oh mon dieu, ils excluent les Noirs.” Mais il y a un manque de sensibilit­é. On cherche rarement à savoir si tout le monde est bien représenté.»

«Quand tu es capable de nommer tous les Noirs qui travaillen­t devant la caméra, c’est parce qu’il y a un problème, surtout avec le nombre de chaînes et d’émission qu’on a…» poursuit-elle.

POUR L’AVENIR

Adolescent­e, Isabelle Racicot a délaissé la télévision québécoise pour celle des États-unis, qui avait comme têtes d’affiche Oprah Winfrey et Bill Cosby, des personnali­tés auxquelles elle pouvait s’identifier. Dans une Belle Province de plus en plus métissée, le futur du petit écran, ébranlé par Netflix et i nternet, passe entre autres par une plus grande diversité en ondes, croit-elle.

«Si vous voulez que les jeunes Québécois qui viennent d’ici mais qui ont des parents d’origines variées restent à l’antenne, vous devez leur offrir une télé qui leur ressemble, parce que sinon, ils vont aller voir ailleurs. C’est normal. On cherche tous des modèles qui nous ressemblen­t. Ce n’est pas pour rien que depuis que P.K. Subban joue pour les Canadiens, mes enfants capotent sur le hockey. Ils n’ont jamais autant tripé! Quand ils ont vu P.K. donner 10 millions $ aux enfants malades, c’était comme s’ils voyaient leur grand frère poser un tel geste. Ils étaient énervés. Ils étaient gonflés à bloc!»

«La mère en moi veut que ses enfants aient des modèles à l’écran. Parce que ça joue sur l’estime de soi: quand tu ne te vois pas, tu as l’impression que tu ne vaux rien. J’en ai souffert plus jeune. J’aimerais que mes enfants ne vivent pas la même chose», conclutell­e.

 ??  ?? Isabelle Racicot rêve du jour où une série sera articulée autour d’un personnage de couleur. «Au Québec, on n’a jamais vu ça… sauf Linda Malo dans Jasmine en 1996», souligne-t-elle.
« Il y a beaucoup
de travail à faire. »
– Isabelle Racicot
Isabelle Racicot rêve du jour où une série sera articulée autour d’un personnage de couleur. «Au Québec, on n’a jamais vu ça… sauf Linda Malo dans Jasmine en 1996», souligne-t-elle. « Il y a beaucoup de travail à faire. » – Isabelle Racicot
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