La proie pour l’ombre
Selon deux sondages, l’«affaire du niqab» aurait coûté au NPD une partie de son avance au Québec et profité surtout aux conservateurs. D’ici le 19 octobre, réussira-t-elle ou non à stopper le tsunami orange qui s’y annonçait? Au lendemain d’un premier débat des chefs en français, la question demeure.
Cette histoire du niqab participe avant tout d’une stratégie coutumière pour Stephen Harper : le «wedge politics» ou «politique de la division». La recette: jouer sur des enjeux polarisants et émotifs pour souder sa base et diviser les camps adverses.
L’«affaire du niqab» joue aussi sur les mêmes cordes sensibles que la pseudo-crise des «accommodements raisonnables» de 2007 lancée en pleine campagne électorale québécoise.
Pour Tom Mulcair, ça sent surtout le traquenard. De fait, tout comté perdu au Québec par le NPD l’éloignerait d’autant de la possibilité même d’un gouvernement minoritaire.
PIÈGE À OURS
Qu’il ait tort ou raison de s’opposer à l’interdiction du niqab aux cérémonies de citoyenneté, le principal problème du chef néo-démocrate est qu’il rame à contre-courant d’une majorité d’électeurs et de la classe politique québécoise dans son entier.
Contrairement à Justin Trudeau dont la même position n’étonne personne et dont les appuis chez les francophones sont déjà minces, Tom Mulcair y risque une partie de son avance au Québec. Ce qui, par effet d’entraînement, pourrait le fra- giliser d’autant au Canada anglais.
Jouant son va-tout, le Bloc québécois en profite aussi pour rappeler au bercail une partie de ses électeurs emportés en 2011 par la vague orange.
La veille du débat, Tom Mulcair tentait de calmer le jeu. Il disait «comprendre» qu’on puisse voir le niqab comme un symbole d’oppression. Or, combien d’électeurs aurait préféré l’entendre dénoncer lui-même ce même symbole d’asservissement des femmes?
Piégé pour le moment, Tom Mulcair saura à la lumière des prochains sondages si le dommage est temporaire ou s’il s’installera à demeure.
LE VÉRITABLE ENJEU
Au-delà de la campagne, l’«affaire du niqab» témoigne surtout d’une classe politique prise au dépourvu, ici comme ailleurs en Occident, par la montée des intégrismes. Elle montre aussi à quelle vitesse le débat peut déraper.
Et ce, jusqu’à stigmatiser ces mêmes femmes, pourtant les vraies victimes des intégristes. La publicité du Bloc montrant une goutte de pétrole se transformer en niqab verse d’ailleurs dans le même travers.
La raison voudrait qu’un débat aussi complexe, émotif et de toute évidence nécessaire se fasse loin de l’arène ultra partisane d’une élection. Mais la raison fout le camp lorsque les esprits s’échauffent et que des politiciens soufflent sur les braises.
Le danger est qu’en gardant les yeux rivés sur le niqab, la «question de l’isoloir» s’en trouve éclipsée.
Le véritable enjeu reste pourtant le même : chasser ou non les conservateurs de Stephen Harper du pouvoir. Et si oui, par qui et pour quelle «vision» sur les enjeux sociaux, économiques, culturels et environnementaux?
Lâcher la proie pour l’ombre n’en vaut pas la chandelle.
Une stratégie coutumière pour Stephen Harper : le « wedge politics » ou « politique de la division ». Jouer sur des enjeux polarisants et émotifs pour souder sa base et diviser les camps adverses.