Le Journal de Quebec

La liberté d’expression malgré tout

- Mathieu Bock-côté e Blogueur au Journal mathieu. bock-cote@quebecorme­dia.com @ mbockcote

Mike Ward est-il allé trop loin? La question est sur toutes les lèvres depuis qu’on a appris qu’il se retrouvait devant le Tribunal des droits de la personne.

La famille de celui qu’on a longtemps surnommé le petit Jérémy a décidé de le poursuivre devant le Tribunal des droits de la personne. On l’accuse de l’avoir intimidé et d’avoir gâché sa vie en s’en moquant sans cesse dans ses spectacles. Nous n’avons aucune raison de douter de sa douleur.

Dans cette histoire, Mike Ward joue le rôle du salaud et le petit Jérémy, le rôle de la victime. Le premier est un humoriste qui aime se rouler dans la fange et se plonger dans le jus de vidange. Il ne manque certaineme­nt pas de talent. Mais il aime manifestem­ent blesser son prochain. Au mieux, on dirait qu’il pratique un humour abrasif. Jérémy Gabriel, lui, était un enfant handicapé. Il était l’image même de la vulnérabil­ité.

LES FAIBLES

On aime croire qu’il y a une règle morale dans une société civilisée: on ne se moque pas des plus faibles. Si l’humour a une fonction sociale, au-delà du simple divertisse­ment, ne devrait-il pas tourner en dérision les puissants?

Mais doit-on pour autant encadrer la liberté de l’artiste dans les limites étroites des bonnes manières? Si tel est le cas, qui fournira aux humoristes leur code d’éthique? On marche à grands pas vers la société aseptisée.

Il devrait être permis d’aller trop loin, beaucoup trop loin. Évidemment, il y aura un coût social à payer pour des propos insensés. Un homme sera condamné à la marge. Il aura mauvaise réputation. Il ne sera pas fréquentab­le. En un mot, il paiera le prix de ses audaces ou de ses outrances.

Mais les bornes morales ne devraient pas recouper les bornes légales. Moins on codifie la liberté d’expression, mieux elle se porte.

Il faut dire qu’en 30 ans, la liberté d’expression a considérab­lement régressé. Le bon chic bon genre petit bourgeois que nous imposent les fonctionna­ires vertueux du bien-penser et du bien-rire a poussé un grand nombre d’esprits créatifs à se taire. Les inhibition­s se multiplien­t. On ne sait jamais quel lobby on va heurter ou vexer. Donc on se tait.

Aujourd’hui, les Cyniques, les Bleu Poudre ou RBO ne seraient plus vraiment possibles.

LE DROIT DE DIRE DES CONNERIES

On en revient au petit Jérémy. À tout prendre, on aurait pu poursuivre Mike Ward en diffamatio­n. La procédure est bien balisée. Elle protège les individus contre l’acharnemen­t dont ils pourraient être victimes.

Mais ce procès se passe sous le signe de la très mal nommée Commission des droits (CDPDJ). Elle est animée par un esprit policier détestable et le projet de loi 59 qu’elle a inspiré et dont on a beaucoup parlé ces temps-ci le confirme.

On imagine la suite. Parce qu’après le petit Jérémy, il y en aura d’autres. Et on voit encore une fois comment c’est au nom des droits de la personne qu’on fait aujourd’hui régresser la liberté d’expression.

On imagine bien la CDPDJ vouloir étendre son empire et multiplier les interdicti­ons. Tous en paieraient le prix.

Voilà pourquoi on doit aujourd’hui défendre le droit de Mike Ward de dire des conneries, même si elles nous font vomir.

Mike Ward a-t-il été trop loin?

Oui! Mais…

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada