Le Journal de Quebec

Une bête de foire ?

- lise ravary e Blogueuse au Journal lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

De temps à autre, le showbiz accouche d’un artiste dont on se demande «mais que fait-il dans ma télé celui-là?» Au Québec, nous avons eu Patof, un clown chantant. En France, comment oublier Jordi, l’interprète de l’infect Dur, dur d’être un bébé?

Et puis, au milieu des années 2000 est apparu le petit Jérémy, sourd, le visage et la tête déformés par un handicap, qui voulait chanter pour le pape Benoît XVI au Vatican. Il a réalisé son rêve à 9 ans.

L’année précédente, il avait chanté avec Céline Dion à Las Vegas et poussé l’hymne national au Centre Bell. Il est devenu ambassadeu­r pour les Shriners. Le garçon vivait un rêve hors de portée de la majorité des aspirants-vedettes qui n’ont pas à se battre contre un handicap par-dessus le marché.

Il déclarait à son biographe Alain Noël en 2007: «moi, j’ai envie de chanter partout dans le monde pour faire aimer le Bon Dieu».

LES BONS SENTIMENTS

Il ne fait aucun doute que l’apparence de Jérémy Gabriel, atteint du syndrome de Treachers Collins, a suscité de la sympathie au début. Ce n’est pas tous les jours que l’on croise un enfant lourdement handicapé qui tente de faire sa place dans l’univers impitoyabl­e du show-business, surtout avec un répertoire néo-catho. Les foules sentimenta­les ont vu en lui l’exemple parfait d’un petit être hypothéqué qui a choisi de se battre contre un destin cruel pour réaliser ses rêves les plus fous. Une belle histoire qui attendrit les mamans, certes, mais qui excite aussi les humoristes un tantinet tordus, sans cesse à la recherche d’une tête de Turc payante.

C’est ainsi que le petit Jérémy est tombé entre les griffes du gros méchant loup de l’humour-poubelle, le seul et unique Mike Ward, qui en a fait son running gag.

Aujourd’hui, tout ce beau monde se retrouve devant le Tribunal des droits de la personne, alors que ce litige n’a aucun précédent au Canada. Une mauvaise idée qui empêche de poser des questions difficiles.

POURQUOI EXPOSER CET ENFANT ?

Loin de moi l’idée d’accuser son entourage d’avoir exploité pour de l’argent les rêves et la foi sincère de Jérémy Gabriel, mais comment se faitil que personne n’ait pensé qu’en menant une carrière publique, le garçon serait exposé au ridicule, aux commentair­es débiles et aux blagues plus ou moins acceptable­s en bonne société? En l’exposant ainsi, son entourage en a fait une bête de foire. Or, les bêtes de foire sont rarement heureuses.

La peine de Jérémy touche mon coeur de mère, comme j’avais été choquée par les commentair­es de Guillaume Wagner sur l’apparence de Marie-hélène Thibert, mais jamais je ne souhaitera­is que s’installe une censure d’état pour arbitrer la parole humoristiq­ue.

Aussi triste que soit cette histoire, aussi malheureux que l’ait été le petit Jérémy, il ne fait aucun doute que la liberté d’expression doit prévaloir, c’est une question de principe fondamenta­l. Et puis, on ne peut légiférer contre le mauvais goût.

Je vais profiter de la liberté d’expression pour souligner, en passant, que Jérémy Gabriel sort un nouvel album dans quelques semaines… Une coïncidenc­e, sans doute. Mike Ward a-t-il été trop loin? Non! Mais…

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