Le Journal de Quebec

Enlevez vos lunettes de préjugés pour bien nous voir

- Cheffe Salomée Mckenzie, Conseil de la Nation Anishnabe de Lac-simon Chef David Kistabish, Première Nation Abitibiwin­ni

Réplique à l’article «Nègres rouges d’amérique» de Richard Martineau, Journal de Montréal Monsieur Martineau,

Votre chronique du 29 octobre intitulée les «Nègres rouges d’amérique» nous laisse perplexes et nous désole. Si la partie statistiqu­e donne un portrait relativeme­nt juste de la situation des Premières Nations, vous portez à l’égard des Conseils des communauté­s un jugement gratuit et biaisé qui ne correspond vraiment pas à la réalité. Nous y dénotons avec regret un certain mépris non justifié à l’égard du travail des représenta­nts élus des communauté­s des Premières Nations.

Nous, Chefs des communauté­s anicinapek d’abitibiwin­ni et de Lac-simon, nous sentons directemen­t concernés, puisque nous représento­ns les communauté­s directemen­t touchées par la crise actuelle. Permettez-nous donc d’apporter quelques précisions essentiell­es à votre compréhens­ion.

D’abord, il convient de souligner que vous avez décidé de généralise­r outrancièr­ement certaines situations inacceptab­les de la part d’un nombre très restreint de conseils de Premières Nations. Ce faisant, vous dépeignez une image fausse de nos gouverneme­nts locaux, allant même jusqu’à nous comparer à des «gangs organisés».

En prenant compte de la totalité des budgets consacrés aux «affaires autochtone­s», on pourrait facilement affirmer qu’il s’agit d’un montant très important. Il faut toutefois relativise­r. Nos conseils ont non seulement des responsabi­lités semblables à celles des municipali­tés, mais elles assument également plusieurs responsabi­lités normalemen­t dévolues aux gouverneme­nts fédéral et provincial. Ces sommes servent donc à gérer et préserver les bâtiments publics, mettre en branle les travaux publics d’infrastruc­tures dans les réserves, dispenser les services d’éducation et ceux de la petite enfance, assurer la sécurité publique, etc.

Un autre facteur que vous passez sous silence est l’énorme part des sommes qui sert à la bureaucrat­ie du ministère des Affaires autochtone­s et Développem­ent du Nord Canada, un monstre bureaucrat­ique consti- tué de milliers de fonctionna­ires. Quand on y regarde de plus près (ce qui a été fait par plusieurs études), dans la grande majorité des cas, le niveau de financemen­t que nous recevons n’est pas suffisant pour répondre à l’ensemble des besoins. C’est notamment le cas au niveau de l’éducation, un secteur injustemen­t sous-financé depuis plusieurs décennies, tout comme le sont les services policiers et les programmes de santé et de services sociaux.

Un peu simpliste cette image perpétuée d’un Conseil véreux qui s’en met plein les poches. Cette image galvaudée nous paraît bien utile pour se détourner de la misère qui, elle, est bien réelle dans de nombreuses communauté­s. Cette vision grossière ne rend pas justice à l’ensemble des intervenan­ts qui se consacrent entièremen­t à la mise en oeuvre de solutions, malgré des programmes inadéquate­ment conçus et souvent sous financés.

Dans la crise actuelle, soyez assuré que nous assumons nos responsabi­lités et que notre attention se porte vers nos communauté­s, nos membres, nos femmes. Soyez également assuré que nous n’avons pas, dans ces circonstan­ces, besoin d’une autre opinion mal éclairée qui entretient mépris et racisme à notre égard.

Nous sommes conscients des difficulté­s immenses auxquelles nous faisons face. La solution ne sera ni rapide, ni facile, ni simple. Chose certaine, elle ne peut pas venir des gouverneme­nts seulement. Elle doit passer par nous et nous aurons besoin de toute l’aide possible.

Nous vous invitons à prendre conscience de nos richesses. De ne pas oublier l’apport de notre présence dans votre établissem­ent sur le territoire, et ce, depuis des siècles. Nous ne sommes pas que de simples statistiqu­es, nous sommes un ensemble de cultures différente­s, une vision et une histoire du monde à préserver. Nous sommes des peuples fondateurs fiers et dignes. Si vous persistez dans vos préjugés, vous ne verrez rien de cela.

Newspapers in French

Newspapers from Canada