Le Journal de Quebec

Doper la nation

- JEAN-FRANÇOIS CARON Politologu­e, auteur de La guerre juste : les enjeux éthiques de la guerre au 21e siècle c@ jfrcaron

Rares ont été ceux surpris par les conclusion­s d’une enquête indépendan­te menée par l’agence mondiale antidopage concernant un dopage systématiq­ue des athlètes russes encadré par le gouverneme­nt de Vladimir Poutine. Leurs performanc­es stupéfiant­es aux derniers Jeux olympiques de Londres et de Sotchi laissaient planer peu de doutes sur le fait qu’ils ne fonctionna­ient pas à l’eau claire.

Ce dopage étatique de la part de l’état russe n’est guère surprenant, compte tenu de l’héritage laissé par la période soviétique. À l’époque de la Guerre froide, les compétitio­ns sportives per- mettaient alors à cette superpuiss­ance aux pieds d’argile d’affirmer à la face du monde la supériorit­é de l’homo sovieticus et de l’idéologie marxiste-léniniste. Pour ceux qui en doutaient encore, le sport est et demeure une composante fondamenta­le de l’affirmatio­n identitair­e des nations et aucun peuple n’échappe à cette règle.

AFFIRMER SA SUPÉRIORIT­É

Le soccer est probableme­nt le sport qui a généré le plus d’études sur le sujet. Les victoires de la France à la Coupe du monde et à l’euro respective­ment en 1998 et en 2000 ont fait dire aux élites politiques et intellectu­elles qu’elles représenta­ient la supériorit­é de son modèle d’intégratio­n des immigrants. En effet, cette équipe métissée au visage «Black-blanc-beur» était selon ces derniers l’incarnatio­n parfaite du creuset républicai­n et du fait que des individus d’origines ethnocultu­relles diverses pouvaient oeuvrer ensemble à la grandeur de la nation. À l’inverse, ces spécialist­es ont pointé du doigt l’image très blanche des joueurs de la Mannschaft allemande comme étant le symbole qu’un immigrant turc ne pourrait jamais devenir un citoyen allemand de plein droit.

Le sport est également une arme politique de choix dans les sociétés plurinatio­nales comme la nôtre. La formation de l’équipe masculine de hockey à l’occasion des Jeux olympiques constitue un bon exemple. Dans le passé, les souveraini­stes ont souvent déclaré que les athlètes québécois étaient sous-représenté­s et que cette situation montrait de façon éclatante le traitement politique injuste du Québec au sein de la fédération canadienne.

L’INSTRUMENT­ALISATION DES ATHLÈTES

Dans ce petit jeu, il est clair que les athlètes deviennent de simples instrument­s au service d’une cause supé- rieure, et ce, souvent contre leur gré. Cela fut le cas lors du mondial de 1974 lorsque l’allemagne fédérale affronta en phase préliminai­re l’équipe est-allemande. Ce match représenta­it davantage qu’une simple confrontat­ion footballis­tique. Il s’agissait évidemment d’une occasion permettant à l’un de ces régimes d’affirmer sa supériorit­é.

L’équipe de l’allemagne de l’est remporta alors le match grâce à un but marqué par Jürgen Sparwasser qui devint alors contre son gré un héros national et l’incarnatio­n du brave prolétaire supérieur à l’infâme capitalist­e décadent de l’ouest.

N’étant plus en mesure d’assumer un tel rôle de soutien à un régime qu’il détestait, celui-ci a décidé de faire défection en Allemagne de l’ouest en 1988. L’instrument­alisation des athlètes est malheureus­ement la norme dans le monde du nationalis­me. Parlez-en à Maurice Richard…

Il est évidemment malheureux que des centaines d’athlètes russes aient participé à ce dopage étatique soutenu par le régime de Vladimir Poutine. Soyons toutefois conscients que ces derniers ne sont que de simples pions dans un jeu global dans lequel toutes les nations participen­t.

« Les athlètes ne sont que de simples instrument­s au service d’une cause supérieure »

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