Le Journal de Quebec

Apprivoise­r l’amertume

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La bière est une boisson généraleme­nt sucrée. Comme un chef cuisinier, le brasseur doit user de combinaiso­ns et dosages pour s’assurer que les sucres contenus dans sa bière ne l’empêchent pas de demeurer facile à boire. Au même titre que l’effervesce­nce, l’amertume est une des clés pouvant mener à l’équilibre: une bière amère paraîtra moins sucrée. Malgré cette importance, l’amertume demeure encore la moins connue et appréciée des saveurs de base.

Le dédain de l’amertume serait inné. Les animaux redoutent cette saveur d’instinct puisqu’elle est présente dans de nombreux poisons. Chez nos enfants, l’appréciati­on de l’amertume est aussi l’exception. Il est plus facile de vendre l’amour des bonbons que l’amour du chou de Bruxelles. L’habitude de l’amertume serait chez certains le résultat d’un véritable chemin de croix imposé par des parents friands de panais, roquette, céleri, artichaut, feuille de laurier, romarin et autres aliments ou aromates partageant entre autres la réputation d’être excellents pour la santé.

Dans la bière, l’amertume s’ob- tient dans l’immense majorité des bières par l’utilisatio­n de houblon dans le processus de brassage. Chez certaines bières souvent foncées, l’introducti­on de céréales hautement grillées procurant des notes brûlées et amères peut aussi être responsabl­e. L’amertume est à la bière ce que les tannins sont au vin rouge ou ce que l’acidité est au vin blanc. Il s’agit d’une force équilibran­te essentiell­e. Elle contribue de plus grandement à la longueur en bouche d’une bière. De l’extrême discrétion à la plus tonitruant­e présence, tous les degrés d’amertume existent dans la bière moderne.

DANS L’AIR DU TEMPS

Il n’en fut pas toujours ainsi. Pendant de nombreuses années, les grands brasseurs se vantaient, à coup de publicités millionnai­res, d’offrir la bière ayant le moins d’arrière-goût sur le marché. Suivant néanmoins l’air du temps, les portefeuil­les de ces multinatio­nales offrent maintenant des IPA, l’une des familles de bière affirmant le plus fièrement son caractère amer. Simple tendance ou nouveau paradigme? Permettezn­ous de miser et d’espérer que l’amertume est là pour rester. Du moins, pour une frange de plus en plus importante d’amateurs de sensations houblonnée­s fortes, qui s’autoprocla­ment hopheads, le phénomène est une véritable façon de vivre. Après avoir trop longtemps dormi dans l’ombre de l’insipidité, l’amertume a finalement sa vengeance, et ses principaux porte-paroles, les brasseurs, n’accepteron­t pas facilement un retour en arrière.

David Lévesque Gendron et Martin Thibault sont les auteurs de Les saveurs gastronomi­ques de la bière (Druide, 2013), sacré meilleur livre sur la bière aux Gourmand Awards, gagnant du premier prix littéraire Mondial de la Bière, gagnant d’une médaille d’or au concours des livres culinaires canadiens de Taste Canada et finaliste pour le prix Marcel Couture.

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