Grandeur et décadence des décisions gouvernementales
La décision gouvernementale autorisant le déversement, dans le fleuve Saint-laurent, de huit milliards de litres d’eau souillée par divers détritus et contaminants est simplement ahurissante et humiliante pour l’intelligence collective des habitants de la «Belle Province». Cette décision sème la consternation, attise les charges contre la bureaucratie gouvernementale et génère une avalanche de critiques dans la presse internationale. Et pour cause, cette décision bafoue les bases du bon sens collectif et discrédite les rationalités gouvernementales. Trois questions sont posées à ce sujet au Québec, au Canada et dans de nombreuses instances internationales. Primo, pourquoi, avec toutes les connaissances scientifiques et tous les mécanismes institutionnels disponibles, les trois paliers du gouvernement en charge du Québec se sont-ils commis et ont-ils légitimé, à l’unisson, ce type de préjudice au fleuve et à sa biodiversité unique au monde? Secundo, est-ce que les instances gouvernementales ont vraiment réalisé de sérieuses évaluations (pas des révisions) réglementaires et environnementales, pour apprécier les pour et les contre d’une telle décision? Tertio, qu’a-t-on prévu pour réparer les dommages ainsi créés au fleuve et éviter la récidive des auteurs incriminés?
Relativement à la première question, tout porte à croire que les décideurs politiques continuent à faire l’autruche au regard des défaillances dans la gouvernance des infrastructures de traitement des eaux usées et de préservation de la qualité des eaux. Malgré les dizaines de milliards de dollars engloutis dans les infrastructures collectives, ce déversement ajoute une autre preuve quant au grave dysfonctionnement dans la gouvernance des ressources collectives en eau. Le Québec a un examen de conscience à faire, et doit implorer le Vérificateur du Québec ou le Commissaire au développement durable à faire la lumière sur la genèse d’une décision gouvernementale, aussi anachronique dans son esprit et immorale dans ses connivences.
Pour la deuxième question, les citoyens sont portés à croire que les décideurs concernés s’obstinent à faire fi des enseignements issus de la recherche, notamment au regard de l’ampleur stratégique de la valeur économique des bassins communs des ressources hydrauliques. La recherche nous apprend que ces ressources ont aussi une valeur intrinsèque, patrimoniale, identitaire et intergénérationnelle qu’on peut désormais quantifier en numéraire financier, pour mieux justifier les coûts et les bénéfices de toute décision les concernant. Plus que jamais auparavant, les décisions gouvernementales requièrent des connaissances et des compétences qui se renouvellent rapidement.
Pour la troisième question, la décision de déversement des eaux usées dans le fleuve n’est pas assortie d’engagements gouvernementaux visant à rassurer les citoyens sur les modalités de restauration de la qualité des eaux du fleuve et de la non-récidive des décideurs concernés. Aucun mécanisme d’évitement et de sanction n’a été envisagé pour juguler de tels déversements à l’avenir. Désormais, le principe du «pollueurpayeur» doit s’appliquer aux élus et fonctionnaires responsables de décisions aussi décadentes par ses méfaits incommensurables sur l’image et l’attractivité internationale du Québec, sur la qualité de vie des riverains et usagers du fleuve et sur l’impératif d’une préservation sans faille des précieuses ressources naturelles du Québec. Moktar Lamari, Ph. D., professeur à
L’ENAP, Université du Québec