Un beau gâchis
450 employés; 26 employeurs; 32 mois de conflits; 280 000 jours de travail par personne perdus: voici les chiffres effarants du plus long conflit de travail de l’histoire du Québec. Un projet de loi spéciale a été déposé à l’assemblée nationale ce jeudi.
Depuis bientôt trois ans, les garagistes des concessionnaires automobiles du Saguenay-lac-saint-jean sont en lockout. La corporation regroupant les employeurs exige des concessions salariales et dans l’organisation du travail.
Chacun s’est campé sur ses positions, de la pire des manières possibles.
DE PART ET D’AUTRE
Le syndicat, affilié à la CSD, a manqué de professionnalisme, évaluant mal le rapport de forces de ses membres et l’appui de la population. Un mécanicien se remplace malheureusement plus facilement qu’un médecin spécialiste. Pour le client, que son inspection en 30 points ait été effectuée par un employé syndiqué ou par un sous-traitant ne fait pas vraiment de différence.
D’autre part, l’employeur s’est montré d’une arrogance et d’une mauvaise foi spectaculaires. Sûr de détenir tous les leviers de négociation – les ventes n’ont pas baissé pendant le conflit –, il a multiplié les recours légaux, mettant la table aux séances de négociation avec des mises en demeure. Quelques épisodes disgracieux de patrons invectivant les grévistes sur les piquets de grève ont été rapportés dans les médias. Encore cette semaine, une vingtaine de travailleurs ont reçu des avis de licenciement. Quand on continue à faire de l’argent, on n’a aucun intérêt à régler…
À la fin, plusieurs concessions intéressantes ont été faites et un médiateur chevronné fut nommé par Québec. Dans son rapport au ministre Sam Hamad, il constate le blocage. L’affrontement est devenu personnel.
UN TRISTE PORTRAIT
En traversant la région de bout en bout, on voit les lock-outés sur les grandes artères. À Chicoutimi, Alma, Saint-félicien, les mêmes petites cabanes laissant échapper de la fumée, entourées de pancartes défraîchies plantées dans le gazon.
C’est un véritable drame humain qui se joue ici. On ne se remet jamais d’avoir perdu 32 mois de revenus. Les faillites personnelles se multiplient, comme les séparations. Plusieurs ont trouvé du travail ailleurs. Et l’employeur qui continue à faire de l’argent.
Quelles que soient les conditions du retour au travail, quel climat peut-on espé- rer y retrouver? Quand on a tant perdu, tout en concédant, pourquoi renoncer?
C’est probablement pourquoi l’annonce d’une loi spéciale a été accueillie avec soulagement par le syndicat et méfiance par la corporation. Le projet prévoit que, dès son adoption, les parties auront 30 jours pour s’entendre, sous la supervision d’un arbitre. Après quoi, le retour au travail se fera sous l’actuelle convention collective. Les discussions se poursuivront pendant 50 jours, sur les clauses en litige.
C’est un dispositif intéressant, qui laisse la place à la négociation. N’empêche. Il crée un mauvais précédent. Ce serait en effet la première fois que le législateur intervient dans un conflit privé.
Quel avenir cela ouvre-t-il dans les relations de travail au Québec? S’agira-t-il désormais de pouvoir tenir assez longtemps pour forcer le gouvernement à intervenir? Quel intérêt aura-t-on donc désormais à négocier de bonne foi et être celui qui fait des concessions?
Dans tous les cas, c’est un beau gâchis que nous ont offert ici tant le syndicat que l’employeur.
Encore cette semaine, une vingtaine de travailleurs ont reçu des avis de licenciement. Quand on continue à faire de l’argent, on n’a aucun intérêt à régler…