Le Journal de Quebec

Une vraie femme

- richard Martineau richard.martineau@quebecorme­dia.com

Summum, le fameux magazine coquin de Québec, met une superbe femme à la une de son dernier numéro.

Une fille «canon» (Jesyka Szopko) qui correspond au modèle occidental de la beauté féminine.

Blonde, des seins gros comme ça, des jambes longues comme ci, des hanches sinueuses comme la côte amalfitain­e, un regard de chambre à coucher capable de vous mener directemen­t en enfer – ou, si vous êtes marié, dans un bureau d’avocat, votre carnet de chèques sur les genoux.

LE CHOC DU LENDEMAIN

Au cours des derniers jours, j’ai montré la photo de cette splendide déesse à de nombreux hétérosexu­els.

«Coucheriez-vous avec cette fille?» Tous ont répondu Oui. «Et si je vous disais qu’elle a déjà été un homme? Que c’est une transgenre?» Silence gêné. «Ouf, là, pas sûr… Non, je ne crois pas…»

Pourquoi? Elle n’a rien de masculin, elle est femme des oreilles aux orteils, elle a un vagin, tout.

«J’sais pas… Y aurait comme un malaise…»

Pour être franc, j’ai eu le même réflexe. Comment réagirais-je si, au lendemain d’une folle nuit d’amour avec Jesyka (on parle pour parler, là…), elle m’annonçait, en tirant langoureus­ement sur une cigarette, qu’elle s’appelait autrefois Serge, comme dans la chanson des Trois accords? Je figerais. Je sais, c’est niaiseux, mais c’est la réalité. Je figerais. Pourtant… Ce n’est pas comme dans The Crying Game, le célèbre film de Neil Jordan, lorsqu’un terroriste macho de L’IRA baisse la culotte de sa nouvelle dulcinée pour se rendre compte qu’elle a une zigounette au garde-àvous entre les cuisses, non.

On parle ici d’une femme 100 % femme.

Mais je ne sais pas pourquoi, je serais mal à l’aise. Je ne la verrais plus de la même façon.

Soudaineme­nt, je me mettrais à «voir» des signes de masculinit­é sur son corps parfait.

Comment réagiriez-vous si vous saviez qu’avant elle s’appelait Serge ?

Ah oui, la mâchoire, un peu carrée. Et la voix, un peu trop basse, entre le whisky et l’huile à moteur...

TIRER UN TRAIT

Tout ça prouve à quel point notre conception de la sexualité est une constructi­on sociale.

Car, concrèteme­nt, cette femme est une vraie femme.

Bon, ce n’est peut-être pas écrit «femme» sur son ADN, mais entre vous et moi, on ne couche pas avec un gène, mon lit n’est pas un stade olympique, je n’ai jamais demandé à mes partenaire­s de pisser dans une éprouvette pour savoir si elles pouvaient légalement participer à la séance de gymnastiqu­e que je leur proposais…

L’été dernier, à la suite d’une opération effectuée aux États-unis, ma nièce est devenue mon neveu.

Il s’est débarrassé de toutes ses photos attestant de son «ancienne» vie, du temps où il s’appelait Katia. Pour lui, Katia est morte. À l’époque, j’avais trouvé cette réaction violente. Pourquoi tirer ainsi un trait sur son passé? Mais maintenant, je comprends. Il a fait ça pour que les gens qui le regardent ne voient pas autre chose que ce qu’ils voient.

Il ne veut pas être un gars-qui-étaitune-fille. Il veut être un gars, point final. Qu’on cesse de juger qui il est à la lumière de ce qu’il a déjà été.

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