Devenir son propre bourreau
Couronné par le prix Goncourt en 2013 pour son roman historique époustouflant, Au revoir là-haut, en cours d’adaptation cinématographique, l’écrivain français Pierre Lemaitre revient à ses anciennes amours en présentant ce printemps Trois jours et une vie. Ce roman psychologique noir, tragique, bouscule tout sur son passage et crée un climat d’angoisse du début à la fin.
Le jour de Noël 1999, Antoine, 12 ans, voit un de ses voisins achever un chien blessé. Révolté, il reporte sa rage sur un autre enfant de son entourage et le frappe avec un bâton, sans intention de le tuer. Mais, pourtant, c’est ce qui se passe. Dévasté, paniqué et terrorisé, Antoine se demande s’il réussira à cacher son homicide involontaire.
Les deux jours qui suivent sont marqués par la peur totale, l’angoisse, l’enquête et les battues pour retrouver le petit Rémi. Alors que le filet se resserre survient un événement imprévu qui remet en cause la situation d’antoine.
« ROMAN NOIR »
Pierre Lemaitre, un romancier très habile pour créer des climats psychologiques intenses, revient à ses premières amours. «Les premiers romans que j’ai écrits n’étaient pas des romans policiers, mais des romans noirs. Et celui-ci est un roman noir», commente-t-il en entrevue.
L’auteur ne s’est pas inspiré d’un fait divers pour imaginer cette histoire, même s’il a vu, comme tout le monde, défiler dans l’actualité des histoires criminelles impliquant des enfants. «Forcément, quand on s’intéresse à la question de la criminalité comme auteur de romans policiers, on est toujours un petit peu interrogé par le rapprochement entre l’enfance et la criminalité. On a l’impression qu’un enfant criminel, c’est inconciliable, parce qu’on attache toujours à l’enfance des valeurs d’innocence, de naïveté, qui cohabitent assez mal avec l’idée qu’un enfant puisse être un criminel.»
SUJET PAS FACILE
Un criminel de 12 ans comme celui de ce roman est un sujet dont on parle peu. Et pas facile à aborder. «J’ai sacrément réfléchi et j’ai pris mon élan avant de me lancer dans cette aventure. Soit on tombe du côté de la compassion un peu facile – comme c’est dommage, une vie ratée –, mais la lamentation n’est pas trop mon genre.»
«On peut tomber aussi dans une espèce de sévérité qui consiste à dire qu’un criminel est un criminel, qu’il ait 12 ans ou qu’il en ait 18 ne change rien. Entre ces deux extrêmes, il y a toute une gamme d’attitudes que l’on peut avoir, et j’ai essayé de donner ma propre réponse.»
QUI EST ANTOINE ?
Construire le caractère d’antoine, devenu adulte, rongé par les remords, n’a pas été trop difficile. «L’ANtoine de 20 ans, de 25 ans, de 30 ans n’est jamais que la prolongation naturelle de l’enfant de 12 ans qui était criminel. La vraie question, c’était: qui est Antoine? Après, vous n’avez qu’à prolonger la courbe. Un enfant qui commet un crime à 12 ans va en être obsédé toute sa vie.»
Il y avait plusieurs résolutions possi- bles, et celle qu’il a choisie est à la Flaubert, ajoute-t-il. «Antoine a un petit côté Charles Bovary. C’était une manière de voir de quelle manière le héros pouvait accéder à la rédemption; de quelle manière on pouvait expier son crime, avec cette hypothèse que je fais que, lorsqu’on n’a pas de juge, eh bien, on devient son propre bourreau.»
>> Pierre Lemaitre est l’auteur de six romans, tous couronnés par de nombreux prix littéraires. >> Il a obtenu en 2013 le prix Goncourt pour Au revoir là-haut. >> Le tournage d’au revoir là-haut vient de commencer, et le film doit être présenté au public l’année prochaine. >> Il travaille en ce moment sur la suite d’au revoir là-haut, Couleurs de l’incendie.