Le Journal de Quebec

LE HOMARD, BIENTÔT quatre FOIS MOINS CHER ?

La découverte de 32 spécimens américains en Suède pourrait faire chuter la valeur du crustacé

- EMY-JANE DÉRY Collaborat­ion spéciale Emy-jane Déry Collaborat­ion spéciale

L’idée que 32 homards puissent être à l’origine d’une importante perturbati­on de toute l’industrie qui entoure l’espèce peut paraître farfelue, mais n’est pas sans rappeler la crise de la vache folle de 2003, selon un expert.

En mai 2003, un premier cas d’encéphalop­athie spongiform­e bovine (maladie de la vache folle) est déclaré en Alberta. À lui seul, il avait suffi à terrasser l’industrie du boeuf canadien cette année-là, en faisant chuter de 33 % les revenus.

«Vous avez plus de chance d’être frappé par la foudre dix fois avant de contracter la maladie de la vache folle, mais 35 pays ont émis un embargo sur le marché canadien, et des centaines de producteur­s ont fait faillite. Les pertes ont été de milliards de dollars», rappelle Sylvain Charlebois, professeur en distributi­on et politique agroalimen­taire à l’université Dalhousie d’halifax.

« ON S’ÉNERVE POUR RIEN »

Cette fois, 32 homards américains, parfois vulnérable­s avec des élastiques sur les pinces, pourraient venir faire chavirer ce marché d’exportatio­n de l’équivalent de plus de 200 M$ au Canada et aux États-unis.

«Ça démontre à quel point les choses sont sensibles sur l’échiquier mondial en terme de commerce internatio­nal. On s’énerve beaucoup pour rien, pour toutes sortes de choses», a dit Sylvain Charlebois.

«Le homard n’est pas un aussi gros marché que le boeuf, mais ça pourrait être aussi dommageabl­e que la vache folle, parce que l’europe est un client très important pour nous. Si j’étais au ministère des Affaires internatio­nales à Ottawa, je ferais une couple d’appels en Europe», a-t-il poursuivi.

DES MENACES

Le spécialist­e affirme qu’il serait tout de même très étonné d’un dénouement favorisant la demande de la Suède. «Je serai surpris si l’europe entreprend des mesures contre l’amérique du Nord. On peut menacer à l’américaine, mais arriver à décider et prendre des mesures, c’est une autre histoire… on n’est pas rendu là, mais on ne sait jamais», a-t-il conclu.

La découverte de 32 homards américains dans les eaux suédoises pourrait faire chuter le prix du crustacé au point où les consommate­urs américains et canadiens l'obtiendrai­ent au même prix que le poulet, soit environ quatre fois moins cher qu’actuelleme­nt.

Entre 2008 et 2015, la Suède a découvert 32 homards américains près de ses côtes, dont certains portant des élastiques autour des pinces, laissant croire qu’il s’agissait de homards d’importatio­n. La Suède a peur que ces homards américains laissés dans les eaux européenne­s se multiplien­t rapidement et nuisent à la population de homards européens, en mangeant sa nourriture ou en lui transmetta­nt des maladies.

Elle souhaite donc que l’europe cesse d’importer le homard américain, qu’elle qualifie «d’espèce envahissan­te».

ÉVENTUEL MORATOIRE

L’union européenne se penche actuelleme­nt sur cette question et décidera en juin s’il y aura un moratoire ou non sur l’importatio­n de homard américain. Si un embargo est décrété, il pourrait y avoir une surproduct­ion de homard en Amérique du Nord, ce qui pourrait faire baisser les prix de façon importante, selon Robert Steneck, professeur et chercheur à la School of Marine Sciences de l’université du Maine.

«Pour l’industrie du homard, c’est un problème. Pour les personnes qui aiment simplement manger du homard, c’est juste fantastiqu­e, parce qu’il pourrait devenir à certains moments moins cher que le poulet», a-t-il dit.

C’est ce qui s’est produit aux États-unis à l’époque de la crise économique de 2007-2008. La demande européenne pour du homard américain avait chuté de façon importante, mais pas le nombre de fournisseu­rs, ce qui a généré une chute du prix.

CONSOMMATE­URS PÉNALISÉS

Les effets à long terme d’un tel scénario ne seraient cependant pas favorables pour les consommate­urs, estime Sylvain Charlebois, professeur en distributi­on et politique agroalimen­taire à l’université Dalhousie d’halifax.

«À long terme, on ne le souhaite pas, parce qu’on pourrait affecter une industrie qui va bien au Canada. Si on a des pertes d’emplois, une baisse de capacité de production, à long terme, ça veut dire que le prix du homard pourrait augmenter», a-t-il souligné.

ESPÈCE ENVAHISSAN­TE ?

Pour Robert Steneck, qui étudie les homards depuis plus d’une vingtaine d’années, la théorie de la Suède face à la découverte des homards américains n’a aucun sens. «La seule chose à laquelle je pensais quand j’ai lu la propositio­n européenne, c’était d’essayer d’y découvrir quelque chose de scientifiq­uement crédible, et je n’ai pas pu trouver», a-t-il dit.

Depuis plus d’un siècle, des tentatives sont faites avec des éleveurs pour essayer d’implanter volontaire­ment l’espèce du homard américain dans différents endroits du globe et aucune n’a jamais porté ses fruits. «C’est une espèce particuliè­rement difficile à propager», assure-t-il.

La définition «d’espèce envahissan­te», n’a selon lui, rien à voir avec la situation actuelleme­nt décriée par la Suède.

«Une espèce envahissan­te doit être celle qui se reproduit au détriment d’autres espèces locales. Dans ce cas-ci, ça ne peut vraiment pas être appliqué, parce qu’il n’y a aucune évidence que l’espèce s’est déjà reproduite en Europe», a dit le chercheur.

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La Suède considère les homards américains comme une espèce envahissan­te. C'est donc dire que de petites larves de homard comme celle-ci pourraient naître et grandir au détriment du homard suédois, notamment en mangeant sa nourriture, ce qui apparaît...
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Selon Robert Steneck, professeur et chercheur à la School of Marine Sciences de l'université du Maine, le homard américain est une espèce difficile à propager.
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