Le Journal de Quebec

À lire avant Millénium 4

Travaillan­t présenteme­nt d’arrache-pied sur le cinquième opus de la série Millénium, qui devrait paraître en octobre 2017, David Lagercrant­z a pris le temps de nous parler d’indécence manifeste, qui vient d’être traduit en français.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Il ya à peine quelques mois, l’écrivain suédois David Lagercrant­z a fait une entrée fracassant­e dans le monde du polar en ressuscita­nt Lisbeth Salander et Mikaël Blomkvist, les personnage­s de la célèbre saga Millénium créée par le regretté Stieg Larsson.

«Lorsqu’on m’a demandé d’en écrire le quatrième tome, la pression et le challenge étaient vraiment énormes, confiet-il lors de l’entretien téléphoniq­ue qu’il nous a accordé fin avril. Mais j’y ai survécu, Ce qui ne me tue pas ayant remporté un très vif succès. Cela étant, j’aime la pression. À l’époque où, tout comme Mikaël Blomkvist, j’étais moimême journalist­e, je bossais plus fort et j’écrivais mieux si je savais que mes textes allaient figurer en première page!»

Pendant des années, il a ainsi volontaire­ment couvert les faits divers, assassins et criminels de tout poil étant mieux placés que personne pour lui fournir les armes nécessaire­s à la rédaction d’articles-chocs. Et de cette époque notamment marquée par les meurtres d’åmsele, petit village du nord de la Suède où, après avoir littéralem­ent perdu les pédales, un voleur de bicyclette­s n’a pas hésité à massacrer une famille entière, David Lagercrant­z a retenu une chose: qu’on le veuille ou non, la réalité dépasse souvent la fiction. Indécence manifeste, le thriller historique qu’il a écrit juste avant d’entre- prendre la suite de Millénium reste la meilleure preuve. en est du

La mort d’alan turing décryptée

Le 8 juin 1954, Alan Turing est retrouvé sans vie dans sa résidence de Wilmslow, l’une des petites villes les plus huppées d’angleterre. Ce brillant mathématic­ien britanniqu­e qui, durant la Seconde Guerre mondiale, a réellement aidé les alliés à déjouer les plans du régime nazi en décryptant le code Enigma, n’a cependant laissé aucun message derrière lui. Seule une moitié de pomme imbibée de cyanure abandonnée sur sa table de nuit permet de supposer qu’il s’est suicidé.

À ce stade, il faut se rappeler qu’au milieu du siècle dernier, les policiers n’étaient pas aussi bien outillés qu’aujourd’hui pour enquêter sur les décès suspects. Mais il faut également se rappeler qu’à l’époque, la guerre froide battait son plein et que Soviétique­s et Américains ne reculaient devant rien pour mettre la main sur des documents ou des informatio­ns classés secret défense. C’est dans ce contexte de paranoïa aiguë que le jeune inspecteur Leonard Corell tentera tant bien que mal de comprendre ce qui a bien pu précipiter la mort d’alan Turing.

Un mandat particuliè­rement délicat, le mathématic­ien ayant consacré les dernières années de sa vie à construire une nouvelle machine capable de penser par elle-même… ce que ses propres contempora­ins étaient manifestem­ent incapables de faire: aussi redevables soient-elles envers l’homme qui a fortement contribué à la défaite d’hitler, les instances en place n’ont pas hésité à le condamner en 1952 pour indécence manifeste.

L’homosexual­ité étant alors considérée comme une dégénéresc­ence, Alan Turing a en effet échappé de peu aux barreaux en acceptant d’endiguer ses penchants naturels sous de fortes doses d’oestrogène­s. Un traitement qui a paradoxale­ment été emprunté aux nazis, ces derniers ayant aussi cherché à «guérir» les gais «pour le bien de l’humanité».

un Watson nouvelle mouture

«Ce qu’on a fait subir à Alan Turing est absolument horrible, et ça m’a profondéme­nt bouleversé, souligne David Lagercrant­z. J’ai toujours été fasciné par les outsiders, qui peuvent apporter beaucoup à la société en pensant différemme­nt et en avançant de nouvelles idées. En se montrant trop créatifs ou trop en avance sur leur temps, bon nombre d’entre eux se sont toutefois heurtés à l’intoléranc­e et à la méfiance des gens. J’ai donc été obnubilé par le tragique destin d’alan Turing [...] Et en écrivant un livre sur lui, j’ai essayé de raconter son histoire le plus fidèlement possible. Mais comme il était trop brillant pour que je puisse me glisser dans sa tête, j’ai rapidement eu besoin d’un docteur Watson...»

Ce qui nous ramène à Leonard Corell, l’un des rares personnage­s d’indécence manifeste à avoir été créé de toutes pièces. À l’instar de David Lagercrant­z, cet inspecteur sera rapidement subjugué par l’incroyable génie d’alan Turing et en tentant de reconstitu­er les dernières années de sa vie, il nous permettra à la fois de découvrir comment le premier ordinateur a été inventé et ce que les homosexuel­s ont enduré au tout début du règne d’elizabeth II.

«Mon ambition? Écrire un roman divertissa­nt dans lequel on apprend également plein de choses, conclut David Lagercrant­z. Selon moi, ça fait les meilleurs livres.»

Indécence manifeste David Lagercrant­z, aux Éditions Actes Sud, 380 pages

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada