Le Journal de Quebec

Les libertés élastiques

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Désolé, mais si vous trouvez que l’affaire Ward-nantel était une tempête dans un verre d’eau, vous êtes dans l’erreur jusqu’au coude.

Il s’agissait d’une authentiqu­e question de principe. Par définition, les questions de principe dépassent toujours le cas particulie­r.

Que nos humoristes soient des privilégié­s, comme on l’entend beaucoup, n’a rien à voir avec le fond de l’affaire et ne fait qu’illustrer la rancoeur suscitée par la réussite d’autrui.

Que la liberté d’expression soit plus étendue ici qu’en Chine ou en Arabie saoudite, comme on l’entend aussi beaucoup, implique quoi, au juste?

Qu’il ne faudrait se plaindre que lorsqu’il n’y aura plus aucune raison de se plaindre de ce qui se passe ailleurs dans le monde? Non.

SECOUER

Tout ça pour un petit sketch, diront certains.

Non, il faut replacer cet incident dans le contexte plus large d’une société de plus en plus frileuse, aseptisée, conformist­e, où la morale puritaine de jadis revêt les nouveaux habits de la rectitude bien-pensante.

Ce qui est inquiétant, c’est moins le sort de CE numéro que le fait qu’ils soient dorénavant tous supervisés pour voir s’ils ne choqueront pas un tel ou sa maman.

Ceux qui les écrivent se conduisent désormais en conséquenc­e, ce qui est de l’autocensur­e pure et simple.

On semble oublier que les plus grands de tous les comiques – Chaplin, Woody Allen, Lenny Bruce, Coluche – se servaient du rire pour faire réfléchir, ce qui implique de nous secouer.

On entend qu’il ne s’agit pas d’un cas de censure, mais d’une simple interdicti­on de commenter une cause pendante devant les tribunaux.

Il n’est pas interdit de commenter une cause devant les tribunaux. Il faut seulement veiller à ce que personne ne puisse invoquer que vous avez tenté de peser sur l’issue finale.

La preuve de cela est la diffusion du sketch sur le web.

Plus largement, oui, on peut trouver cruel de se moquer d’un enfant sans talent placé sur une scène. Question de goût. Va-t-on légiférer le goût?

On devrait aussi réfléchir à ce qu’il faisait là dans un premier temps...

Et Dieudonné? me direz-vous. Son problème est qu’il ne fait pas une blague sur les juifs entre une blague sur les musulmans et une autre sur les catholique­s.

C’est sa fixation obsessionn­elle sur un groupe, combinée à un programme politique qu’il ne cache plus, émaillée de nombreuses condamnati­ons par les tribunaux, qui en font un cas à part.

Oui, on peut aller trop loin. Mais les frontières à ne pas franchir sont relativeme­nt claires. Le problème, c’est que certains voudraient verrouille­r davantage.

LES AUTRES

Dimanche, Louis Morissette a dit quelque chose d’important.

L’avocat ou l’assureur n’est que celui qui réagit, qui essaie d’anticiper, ou qui sert d’instrument à la poursuite ou à la mise en demeure issue de quelqu’un du public.

Le vrai problème est dans le fait que nous sommes surtout pour la liberté d’expression quand elle est anodine, qu’elle écorche quelqu’un d’autre que nous ou que nous partageons le point de vue exprimé.

On s’aperçoit alors trop tard que lorsque la liberté d’autrui a reculé, la nôtre aussi.

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Nous sommes surtout pour la liberté d’expression quand elle est anodine, qu’elle écorche quelqu’un d’autre que nous, ou que nous partageons le point de vue exprimé.

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